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HORS-SÉRIE 2016

LES GRANDS MÉDIAS LATINO-AMÉRICAINS

AU SERVICE DES PUISSANTS

Au cours des dernières décennies, les médias ont acquis une influence croissante dans les sociétés latino-
américaines, devenant de véritables armes de communication, faisant et défaisant les équipes au
pouvoir au gré des intérêts économiques des classes dominantes. Entre soutien aux anciennes dictatures,
participation à des coups d’État, appui idéologique au néolibéralisme et manipulation de l’information,
les grands monopoles de presse ont un bilan chargé. Conscients du danger représenté par la concentration
médiatique, certains gouvernements progressistes ont tenté de réglementer et de démocratiser le secteur.
Mais, malgré de nouvelles lois tendant à desserrer l’emprise des groupes privés, la liberté d’expression et la
pluralité sont encore trop souvent mises à mal dans des pays où il est parfois dangereux d’être journaliste.

Photo : Maurice Lemoine.
Rien de nouveau sous le soleil médiatique

De Cuba au Chili, de Saint Domingue au Brésil, du Guatemala au Mexique, du
Venezuela à l’Argentine…: retour sur plus d’un siècle de manipulations médiatiques
au service des régimes autoritaires.

« How to derail Venezuela’s new dans la rade de La Havane, le cuirassé elle imprime ou non ce qu’elle sait » . Ou
dictatorship ». En titrant ainsi américain USS Maine est victime même ce qu’elle invente…
son éditorial du 24 octobre 2016 d’une violente explosion. Le navire
– « Comment faire dérailler la sombre presque immédiatement, Au début des années 1950, sous les
nouvelle dictature du Venezuela » deux cent soixante hommes périssent. coups de l’oligarchie et de la compagnie
– et en incitant la « communauté Faisant feu de tout bois, le New York bananière états-unienne United Fruit,
internationale » à intervenir dans Journal «révèle», à l’aide d’illustrations le gouvernement démocratiquement
les affaires internes de Caracas, The extrêmement précises, comment les élu du président de centre gauche
Washington Post s’inscrit dans une Espagnols ont placé une mine sous le Jacobo Arbenz vacille au Guatemala.
vieille tradition remontant pour le bateau, réclame des représailles, chauffe Dans sa phase préparatoire,
moins à la fin du XIX ème siècle. l’opinion publique. Pressé de partout, l’opération destinée à le renverser,
C’est l’époque où Cuba, joyau des le président William McKinley finit par «PB/Success», diffuse toute une
colonies espagnoles, fait preuve de céder et déclare la guerre à Madrid panoplie de caricatures, d’affiches,
violentes velléités d'indépendance. Aux le 25 avril. Hearst vend désormais à de brochures et plus de deux cents
États-Unis, deux journaux influents, le plus d’un million d’exemplaires. Il se articles fondés sur des informations
New York World de Joseph Pulitzer et le vantera d’avoir dépensé plus d’un de la CIA et insérés dans la presse
New York Journal de William Randolph million de dollars pour déclencher la latino-américaine par l’Agence
Hearst, se livrent un combat sans merci. guerre hispano-américaine. En 1911, d’information des États-Unis : une
Précurseur de Rupert Murdoch et de une commission d’enquête conclura foule de documents destinés à
Fox News, Hearst voit dans l’affaire que l’USS Maine a été victime d’une conditionner l’opinion, discréditer
cubaine une chance d’augmenter explosion accidentelle dans la salle des Arbenz sur le plan international
son tirage. Il multiplie les titres à machines. et accentuer les divisions internes
sensation, les attaques contre Madrid au Guatemala. Présent dans le pays,
et l’immobilisme de Washington, les Trois quarts de siècle plus tard, en le jeune Ernesto Guevara, qui n’est
reportages dénonçant les atrocités, 1988, Katharine Graham, qui préside encore qu’un vagabond impénitent
souvent inventées de toutes pièces, alors The Washington Post Company et pas encore le « Che », observe les
commises dans l’île par les Espagnols. après avoir été l’éditrice du journal de événements : « Il y a certains journaux,
Reçoit le soutien des hommes d’affaires 1963 à 1979, prononce un discours soutenus par la United Fruit, que je
américains qui rêvent d’investir à Cuba devant des officiers de la CIA, à Langley fermerais dans les cinq minutes, si j’étais
et d’en évincer les Hidalgos. (Virginie), siège de l’institution : « Nous Arbenz : ils disent ce que bon leur semble
vivons dans un monde sale et dangereux. et contribuent à créer le climat souhaité
Toutefois, les reporters envoyés par Il y a des choses que le public en général par les États-Unis. » Après qu’une
Hearst se plaignent : il ne se passe rien n’a pas à savoir et qu’il ne devrait pas colonne mercenaire soit entrée dans
à Cuba ! Il leur répond par cette phrase savoir. Je crois que la démocratie fleurit le pays par la frontière du Honduras,
demeurée célèbre : «Fournissez les photos, quand le gouvernement peut prendre Arbenz tombera le 27 juin 1954.
je vous fournirai la guerre !» Il atteint son des mesures légitimes pour garder ses
objectif lorsque, le 15 février 1898, secrets et quand la presse peut décider si

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