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HORS-SÉRIE 2016
En Amérique latine : un « journalisme de guerre »
contre les gouvernements progressistes ?
Le XXI ème siècle s’est ouvert en Amérique latine avec l’arrivée au pouvoir de
gouvernements progressistes : ceux d’Hugo Chávez au Venezuela (1998), de « Lula » au
Brésil (2002), de Nestor Kirchner en Argentine (2003), d’Evo Morales en Bolivie (2005)
ou de Rafael Correa en Équateur (2006). Une région du monde qui avait, auparavant,
vu se succéder coups d’État militaires et régimes dictatoriaux. Mais désormais, les
forces réactionnaires emploient d’autres méthodes.
Au Venezuela en avril 2002, un putsch Prenant acte du danger qu’un tel parti Avant d’évoquer la philosophie et
est organisé pour renverser Chávez. pris faisait peser sur la stabilité de les visées de ces différents projets,
Ce coup de force, qui a échoué sous régimes démocratiquement élus, les arrêtons-nous sur le cas de l’Argentine,
la pression populaire a été largement gouvernements progressistes ont petit en détaillant la législation adoptée en
fomenté par les médias privés. à petit réalisé combien il était important 2009 et son rôle dans la cristallisation
À partir de ce putsch manqué, une de se saisir de la question des médias. du débat entre l’exécutif et les grands
nouvelle ère sombre s’est ouverte, De nombreux acteurs les avaient groupes médiatiques.
celle des «coups d’État en douce» (pour d’ailleurs poussés à le faire, face à
reprendre les mots du journaliste l’explosion des nouvelles technologies En Argentine : la « guerre » entre
Maurice Lemoine) : contre Manuel de l’information et de la communication Clarín et les Kirchner
Zelaya au Honduras (2009), Fernando et au caractère dépassé des dispositifs
Lugo au Paraguay (2012), Dilma législatifs et réglementaires. Ainsi, le À l’arrivée au pouvoir de Nestor
Roussef au Brésil (2016) – et des Venezuela est le premier à se lancer Kirchner en 2003, après la terrible
tentatives de déstabilisation en Bolivie dans une politique d’encadrement crise économique et sociale ayant
(2008) ou en Équateur (2010). La par l’État du secteur des médias, explosé fin 2001, le seul quotidien à
plupart de ces épisodes factieux ont avec la loi de responsabilité sociale exprimer une franche opposition est
été accompagnés et soutenus par de à la radio et télévision promulguée le très conservateur La Nación. Dans
grands médias privés. Si le fait n’est pas fin 2004. Fin 2010, la Bolivie adopte un article au vitriol, le sous-directeur
nouveau, puisque le quotidien chilien à son tour un texte réglementant du journal, José Claudio Escribano,
El Mercurio avait préparé et soutenu le les contenus à caractère raciste ou en plus d’étriller le dernier discours
coup d’état militaire de 1973, l’hostilité discriminant, et en août 2011, une loi de campagne du nouveau président,
des médias aux régimes progressistes générale sur les télécommunications, prête à une source de Washington
s’est faite plus manifeste. Il arrive même les technologies de l’information et une déclaration en forme d’appel au
qu’elle soit ouvertement revendiquée de la communication. En Équateur, putsch : «l’Argentine s’est résolue à se
par les médias eux-mêmes. Ainsi, le la nouvelle constitution de 2008 donner un gouvernement pour un an».
lendemain du putsch contre Chávez, contient également une disposition Pis, l’écrivain et journaliste Horacio
sur la chaîne de Gustavo Cisneros de contrôle des contenus et établit Verbitsky rapporte que Escribano
- plus grande fortune du pays - le la nécessité d’une loi organique de aurait tenté d’imposer un cahier des
présentateur Napoleón Bravo annonce communication, âprement discutée charges en forme d’ultimatum en
fièrement : « Nous avons un nouveau et finalement approuvée en juin 2013. cinq points à Kirchner dans lequel
président. […] Il nous faut remercier
non seulement Venevisión et RCTV, mais
aussi Televen, CMT et Globovisión».
« Merci aux médias ! » renchérit le
directeur de l’entreprise de sondage
Ceca, Víctor Manuel García, au milieu
d’un parterre de putschistes réunis
sur le plateau… Quelques années
plus tard, Judith Brito, directrice du
quotidien conservateur brésilien
Folha de São Paulo, résume la
nouvelle mission dont semblent s’être
investis les grands médias latino-
américains : « Puisque l’opposition a
été profondément fragilisée, ce sont
les médias qui, de fait, doivent jouer ce
rôle ».
Dans les rues d'Asúncion en 2013 (Paraguay).
Photo : Maurice Lemoine.