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HORS-SÉRIE 2016
il l’incitait à s’aligner sur les États- Buenos Aires critique le traitement Si le champ médiatique argentin était
Unis, à ne pas rouvrir les procès des journalistique peu responsable du jusque-là fortement concentré et
responsables de la dictature, et à conflit agricole, allant jusqu’à dénoncer dominé par quelques grands groupes
réviser la position argentine face à des pratiques discriminatoires. Repris (Clarín, Uno, Prisa, Vila-Manzano et
Cuba reprenant en substance ce que à leur compte par la présidence et Cadena), les principales dispositions de
l’ex-dictateur Alejandro Lanusse avait d’autres organisations officielles, ce la nouvelle loi marquent une profonde
tenté d’imposer à Juan Perón en 1972. rapport va donner un nouvel élan à rupture avec cette situation. Elles
l’Observatoire de la Discrimination à la prévoient en effet : le démantèlement
Mais c’est le journal, Clarín, et avec Radio et à la Télévision, créé en 2007. des monopoles, par l’interdiction pour
lui le plus grand groupe médiatique L’initiative est évidemment reçue très une même entreprise de posséder une
d’Argentine, qui va se démarquer froidement par Clarín et la Société chaîne hertzienne et une chaîne câblée
durant la présidence des époux Interaméricaine de Presse, le « Medef dans la même zone ; une redistribution
Kirchner. On peut globalement des entreprises de presse » en Amérique permettant aux médias associatifs à
distinguer deux étapes. La première, latine. Mais elle constitue le point de but non lucratif d’accéder à un tiers
de 2003 à 2007, se caractérise par départ d’une réflexion sur la réforme de l’espace audiovisuel, à égalité avec
une bienveillance mutuelle entre de la loi régissant jusqu’alors, les les médias publics et privés ; et la
le quotidien et Nestor Kirchner qui télécommunications en Argentine. constitution d’un nouvel organisme de
ira jusqu’à autoriser la fusion entre régulation de l’audiovisuel.
Cablevisión et Multicanal, faisant du La « ley de medios » La riposte ne se fera pas attendre : les
Groupe Clarín, le premier opérateur grands groupes médiatiques privés du
de câble en Argentine (avec 47% du Dès 2004, des acteurs de la société civile, pays dénoncent une loi «controversée»
marché) et l’un des plus importants en réunis au sein de la Coalition pour une ou « polémique », une manœuvre du
Amérique latine. La rupture intervient Radiodiffusion Démocratique, avaient gouvernement pour contrôler les
après l’arrivée au pouvoir de Cristina présenté leur « initiative citoyenne médias et limiter la liberté d’expression,
Fernández de Kirchner. Début 2008, le pour une loi de radiodiffusion pour et prêtent même au couple Kirchner,
gouvernement décide, face au risque la démocratie ». Après avoir annoncé la volonté « de constituer une carte des
d’inflation causé par la hausse du cours devant l’assemblée nationale son médias à leur mesure [pour] préparer le
des matières premières, d’augmenter intention de remplacer la loi de chemin en vue de l’échéance [électorale]
les impôts à l’exportation. Quatre 1980 issue de la dictature militaire, de 2011 ». Clarín attaque la loi pour
organisations du secteur agricole Cristina Kirchner présente le 18 mars inconstitutionnalité et obtient une
lancent, dès le 11 mars, un lock- 2009, un avant-projet destiné à être mesure préventive entrainant la
out d’ampleur nationale qui durera débattu au sein de forums participatifs suspension de certains articles –
jusqu’en juillet. Clarín et La Nación vont organisés sur tout le territoire. Enrichi notamment les plus fondamentaux
attiser ce conflit, le gouvernement de ces échanges et des 21 points de ayant trait aux transferts de licences et à
les accusant en retour d’être partiaux l’initiative citoyenne, le projet de Loi la concentration du secteur audiovisuel.
dans leur couverture médiatique sur les Services de Communication Finalement, au terme d’une bataille
des évènements, en raison de leurs Audiovisuelle est adopté et juridique de près de quatre ans, la
liens financiers avec l’agrobusiness. promulgué le 10 octobre 2009. Son Cour suprême déboute Clarín dans un
Le rédacteur en chef de Clarín, Julio objet : « la régulation des services de arrêt d’octobre 2013, valide de facto
Blank, reconnaîtra d’ailleurs quelques communication audiovisuelle sur tout le la loi dans son intégralité et rappelle
années plus tard, avoir pratiqué un territoire de la République argentine et le qu’«une loi qui fixe des limites générales
« journalisme de guerre » à l’encontre développement de mécanismes destinés a priori est légitime, car elle favorise la
des Kirchner. à la promotion, à la déconcentration liberté d’expression en empêchant la
À compter de cette période, les et à l’incitation de la concurrence, concentration du marché».
relations entre la majorité et les à des fins de baisse des coûts [pour
mastodontes de la presse argentine ne l’usager], de démocratisation et Sans se livrer ici à un examen exhaustif
vont cesser de se dégrader. Dès avril d’universalisation de l’exploitation des des avancées et difficultés liées à
2008, un rapport émanant de la faculté nouvelles technologies de l’information l’application de cette loi, retenons
de sciences sociales de l’Université de et de la communication ». deux faits marquants. En premier
VENEZUELA
Venevisión (Venezuela Televisión) est la principale chaîne privée, avec signal ouvert et couverture nationale. Elle émet depuis 1960.
Son unique actionnaire est le groupe Cisneros. Avec une fortune de 4 milliards de dollars, Gustavo Cisneros est le plus puissant
baron des médias du continent. Avec une soixantaine d’entreprises dans quarante pays et près de 30 000 employés, le groupe de
M. Cisneros touche plus de 500 millions de personnes dans le monde. Bien connu à l’étranger pour son opposition au processus
bolivarien et son implication dans le coup d’État de 2002, M. Cisneros a étendu son empire à travers l’Amérique latine et dispose
d’intérêts dans Caracol TV en Colombie, Chilevisión au Chili ou dans la chaîne numérique DirecTV Latin America, dont le satellite
transmet sur tout le continent un menu à base de sports, de jeux télévisés, de telenovelas et de journaux télévisés. Né à Caracas
en 1945, d’un père chef d’entreprise cubain et d’une mère vénézuélienne, Gustavo Cisneros fit ses études et son apprentissage des
médias aux États-Unis. Mais il possède aussi les nationalités dominicaine et espagnole.
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