Brésil: la fin de la nouvelle République (1985-2018) [Frédéric Vandenberghe et Jean-François Véran/Libération]

Si le candidat d’extrême droite, Jair Bolsonaro, l’emporte au deuxième tour, c’est toutes les Amériques qui se trouveront à nouveau confrontées à leur passé autoritaire. Il reste tout juste deux semaines pour provoquer un choc de conscience.

Par Frédéric Vandenberghe , Sociologue, professeur à l’institut de philosophie et de sciences sociales de l’Université fédérale de Rio de Janeiro (IFCS-UFRJ) et Jean-François Véran, Anthropologue, professeur à l’institut de philosophie et de sciences sociales de l’Université fédérale de Rio de Janeiro (IFCS-UFRJ)

La «Nouvelle République», qui coïncide avec le retour à la démocratie après une dictature militaire sanglante (1964-1985), aura finalement duré un peu plus d’un quart de siècle. Depuis 2014, rien ne va plus au Brésil. Le pays est entré dans un nouveau cycle. Avec la montée en puissance de l’extrême droite, le cycle risque de se transformer en cyclone qui détruit toutes les institutions démocratiques sur son passage. Les crises s’accumulent: crise économique (la pire récession de son histoire, décroissance, désaccélération, dévalorisation du real, austérité, chômage), crise politique (scandales et affaires en série, coup parlementaire avec destitution de la présidente Dilma Roussef en 2015, incrimination et délégitimation du président Michel Temer, emprisonnement de l’ancien président Ignácio Lula da Silva), crise juridique (politisation de la justice, y compris de la Cour suprême), crise sociale (croissance des inégalités, retour de la pauvreté, déstructuration de la santé politique, de la culture et de l’éducation), crise de la sécurité publique (explosion de la criminalité et de la violence, y compris de la police, intervention militaire dans l’Etat de Rio de Janeiro, sentiment d’insécurité généralisée). L’ensemble de ces crises configure une «tempête parfaite» et explique, en partie, la montée des extrêmes, le retour du refoulé et la nostalgie des «trente» glorieuses de la dictature.

La décennie tournée vers l’avenir

Le Brésil est souvent décrit comme le pays de l’avenir. L’avenir n’aura duré qu’une dizaine d’années. Pendant une décennie, un couplage vertueux de croissance et de politique distributive a provoqué une véritable révolution sociologique: sortie massivement de la pauvreté, la majorité des Brésiliens se trouve désormais dans la dénommée «classe C» de consommateurs, celle des nouvelles classes moyennes. Le développement de l’enseignement supérieur, adossé à l’instauration de quotas raciaux et sociaux, la création du Système unique de santé offrant une couverture universelle gratuite, la cooptation des mouvements sociaux dans le cadre d’une gouvernance tripartite, dessinaient les contours d’un Etat social. En dépit des sous-financements, la croissance économique et la promotion du Brésil au rang de cinquième économie du monde faisaient croire que l’avenir était enfin là.

Puis, le système s’est grippé. Les révoltes de 2013, sorte de précurseurs de Nuit Debout, ont été canalisées et récupérés par la droite. Pour la première fois depuis le coup d’Etat de 1964, la droite décomplexée retournait dans les rues dans des mobilisations de masse pour protester contre la corruption systémique révélée par «l’opération Kärcher», juste avant les élections de 2014. Le pays était déjà polarisé au point que le candidat perdant se trouvait autorisé à refuser la défaite. La rancœur contre une nouvelle victoire du Parti des travailleurs de Lula trouvait son expression dans les panelaços, ces concerts de casseroles émanant des beaux quartiers, puis par cet autodafé jubilatoire qu’a été la cérémonie de destitution de Dilma Rousseff, lorsque des dizaines de députés exaltés criaient au micro leur rage en invoquant dans une catharsis collective Dieu, la famille, la moralité, la haine du PT… Bolsonaro avait déjà la voie largement ouverte. (…)

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