Brésil: le président Temer éclaboussé par de nouvelles révélations

Un enregistrement met en exergue l’implication du chef de l’Etat dans des scandales de corruption. Des manifestants ont immédiatement réclamé sa destitution. Un an tout juste après sa prise de fonctions controversée, les jours du président du Brésil, Michel Temer, semblent comptés. Mercredi 17 mai, le journal télévisé de la chaîne Globo, la plus regardée du Brésil, a fait part de l’existence d’une information plus qu’embarrassante pour le chef de l’Etat. Assez, estiment les spécialistes, pour le faire chuter, quelques mois après la destitution de la présidente de gauche Dilma Rousseff.

À Sao Paulo, dès 21 heures, sur l’avenue Paulista où un an plus tôt les manifestants criaient « Fora Dilma ! » (« dégage Dilma ! »), une foule faisait éclater sa joie aux cris de « C’en est fini du gouvernement putschiste de Michel Temer ! », tandis qu’à Rio de Janeiro résonnaient les bruits de casseroles. M. Temer, membre du Parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB, centre), aurait « acheté le silence » d’Eduardo Cunha, l’ancien président de la Chambre des députés, qui purge une peine de quinze ans de prison après avoir été condamné en mars pour corruption.

Le quotidien du même groupe O Globo détiendrait une bande datée de mars dans lequel on entend le chef de l’Etat adouber l’action d’un député du PMDB promettant de faire taire Eduardo Cunha. Michel Temer aurait acquiescé d’un « Tem que manter isso, viu ? » (« Il faut continuer ça, OK ? »). L’enregistrement a été réalisé par Joesley Batista et son frère, Wesley, propriétaires de l’entreprise agroalimentaire JBS, mise en cause dans l’enquête anticorruption « Lava Jato » (« lavage express »). Après avoir monnayé une réduction de peine contre une collaboration avec la justice, les deux frères se sont munis de leur enregistreur pour confondre leurs ex-complices.

« Conspiration »

Au-delà de Michel Temer, la bande compromet le sénateur Aecio Neves, candidat malheureux à la présidentielle de 2014 pour le Parti de la social-démocratie brésilienne (PSDB, historiquement centre gauche mais désormais étiqueté centre droit). On y entendrait M. Neves réclamer 2 millions de reais (571 000 euros) à Joesley Batista pour assurer sa défense dans « Lava-Jato ». Et M. Neves de préciser que la somme doit être transmise par une personne de confiance, « que l’on puisse tuer avant qu’il fasse une délation ». Le Parti des travailleurs (PT, gauche) de Dilma Rousseff n’est pas épargné par Joesley Batista, qui aurait affirmé aux enquêteurs que Guido Mantega, ancien ministre des finances de Dilma Rousseff et de son prédécesseur Luiz Inacio Lula da Silva, était le contact du PT pour transmettre les pots-de-vin.

Dans un communiqué, Michel Temer a affirmé n’avoir « jamais sollicité de paiement pour obtenir le silence d’Eduardo Cunha ». Selon le journaliste Kennedy Alencar à Brasilia, il ne serait pas disposé à démissionner, se disant prêt à « résister jusqu’à la fin », en évoquant une « conspiration » à son encontre. « Il est trop tôt pour dire que la branche va craquer. Seul le déroulé des prochains jours nous renseignera. Au Brésil, quand on veut, il y a toujours un espace pour la conciliation », estime, prudent, Carlos Melo, professeur de sciences politiques à l’Institut d’études supérieures Insper de Sao Paulo.

Dans le pays, toutefois, peu d’observateurs croient à la survie d’un chef d’Etat ultra-impopulaire et cité à plusieurs reprises dans « Lava Jato ». « C’est gravissime. La crise est installée. Le Congrès va s’arrêter, les réformes sont stoppées. Ça sent l’impeachment [destitution] », pense Marco Antonio Carvalho Teixeira, professeur de sciences politiques à la Fondation Getulio Vargas de Sao Paulo. Dans les minutes qui ont suivi la divulgation du scoop, le Congrès a interrompu sa séance, gêné par un groupe de parlementaires criant « dégage Temer ». Quelques heures plus tard, un député du parti vert, REDE, Alessandro Molon, déposait une demande d’impeachment contre Michel Temer.

Ce nouvel épisode d’une saga déclenchée en 2014 par la déflagration de « Lava Jato » menace de plonger le Brésil dans un nouveau chaos politico-économique. Le pays, qui entamait à peine sa rédemption après une récession historique, pourrait à nouveau subir les foudres des marchés financiers, inquiets du blocage des réformes promises par le président Michel Temer.

Du point de vue politique, une période de flottement va s’ouvrir. Dans le cas où une procédure d’impeachment serait déclenchée, il faudrait attendre plusieurs mois avant d’identifier un successeur à Michel Temer, qui avait lui même succédé à Dilma Rousseff parce qu’il était son vice-président. Une autre hypothèse serait que le Tribunal supérieur électoral (TSE) casse le mandat du chef de l’Etat, l’accusant d’avoir financé sa campagne de 2014 et celle de Dilma Rousseff avec l’argent de la corruption. Le TSE doit se prononcer sur ce sujet le 6 juin.

Dans un cas comme dans l’autre, la Constitution prévoit des élections indirectes orchestrées par le Congrès, dont un tiers des membres est éclaboussé par « Lava Jato ». Une option révoltante pour une partie des Brésiliens, encore traumatisés par la destitution de Dilma Rousseff qu’ils qualifient de « coup d’Etat parlementaire ». Mercredi soir, la foule des opposants à Michel Temer n’avait qu’un mot à la bouche « Diretas ja » : des élections directes, maintenant !