Condamnation de Lula : « Une justice arbitraire pour le seul profit d’un projet politique antisocial et inégalitaire » (Tribune collective publiée par Autres Brésils, Mediapart et Bastamag)

La cour d’appel de Porto Alegre a confirmé la condamnation de l’ex-président brésilien Lula pour corruption passive et blanchiment d’argent. Et a aggravé sa peine. Des membres de l’association Autres Brésils et des universitaires dénoncent un procès inique. Que penser de la condamnation de l’ancien président de gauche brésilien, Lula, à 12 ans de prison pour corruption? « Cette justice sélective et arbitraire vient ainsi, opportunément, écarter un candidat qui a de bonnes chances de remporter le scrutin présidentiel d’octobre 2018 », rappellent plusieurs chercheurs et militants associatifs Brésiliens et Français dans cette tribune. Ils constatent que d’autres personnalités politiques, impliquées dans des scandales de corruption, ne sont pas inquiétés. Et livrent des pistes pour reconstruire la gauche brésilienne.

Des manifestants pro-Lula à Porto Alegre

La sentence est confirmée et alourdie. L’ancien président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva a été condamné à 12 ans de prison pour « corruption passive » et « blanchiment d’argent » lors de son jugement ce mercredi 24 janvier. Dès le début, ce procès a été marqué par des vices de procédure. Il a fait l’objet d’une plainte pour violation des droits auprès du Haut-Commissariat des Nations unies. L’arbitraire de la procédure et ses motivations politiques sont internationalement dénoncés par plusieurs ONGs, des mouvements sociaux, des personnalités politiques ainsi qu’un grand nombre d’intellectuel.les. Cet arbitraire s’est d’ailleurs traduit par une condamnation de Lula pour des « faits indéterminés » reposant sur « l’absence de preuves matérielles ».

« Justice sélective et arbitraire »

Cette condamnation vient prolonger le coup d’État institutionnel déclenché lors de la procédure de destitution de la présidente Dilma Rousseff en 2016. Elle prend des allures de justice d’exception alors que d’autres élus de la nation, mis en cause dans de graves affaires de corruption et d’enrichissement personnel, font l’objet d’une étrange impunité, à l’image du président en exercice, Michel Temer ou encore de Aécio Neves, candidat de la droite vaincu lors des Présidentielles de 2014. La décision prise par les trois juges de la Cour d’appel vient ainsi sonner le glas des institutions démocratiques nées de la Constitution de 1988, mais jamais consolidées. Lula est le seul candidat en capacité de rassembler celles et ceux qui s’opposent à la mise entre parenthèse des institutions démocratiques, au démantèlement des services publics ainsi qu’à la remise en cause des libertés et des droits civiques, celles et ceux qui souhaitent la mise en œuvre de politiques sociales et environnementales ambitieuses pour le Brésil et les Brésilien.ne.s, celles et ceux qui espèrent que la lutte contre la corruption qui gangrène une large part de la classe politique va se poursuivre de manière impartiale.

« Le Brésil ne connaît plus de normalité démocratique »

Cette justice sélective et arbitraire vient ainsi, opportunément, écarter un candidat qui a de bonnes chances de remporter le scrutin présidentiel d’octobre 2018. Et ce, pour le seul profit d’un projet politique antisocial et inégalitaire porté par une partie des élites économiques brésiliennes. La condamnation de Lula confirme, une fois de plus, que le Brésil ne connaît plus de normalité démocratique. Cette situation, cet arbitraire, doivent être vigoureusement dénoncés. Il serait cependant naïf de croire qu’un tel combat se mènera sans un bilan sérieux de la politique de coalition menée depuis la fin de la dictature. Entre le sommet et la base de la pyramide sociale brésilienne, il existe des intérêts inconciliables. Cet antagonisme ne peut continuer à être masqué par la poursuite d’un modèle de développement centré sur l’exportation des matières premières, incompatible avec les enjeux écologiques et climatiques. Les conflits sociaux au Brésil ne peuvent être durablement résolus par une pacification sociale fondée exclusivement sur l’accès aux biens de consommation sans s’attaquer aux violences policières, économiques, sociales et culturelles qui brutalisent la majorité de la population brésilienne. Relever ces défis signifie également réformer les institutions démocratiques, pour qu’elles deviennent vraiment représentatives et non plus clientélistes. La solidarité envers Lula est nécessaire mais pas suffisante. Cette mobilisation doit être le moment de construire et de défendre un autre projet politique : un projet commun aux forces progressistes, y compris dans ses nouvelles expressions. Les élections présidentielles et législatives d’octobre prochain constituent une étape importante pour repenser ce projet et le pays, tel que demain nous souhaitons le bâtir. Les élections ne sont qu’un des chemins. D’autres doivent être explorés si les forces progressistes brésiliennes veulent construire, ensemble, un projet politique crédible et pérenne.

Erika Campelo, co-présidente de l’association Autres Brésils

Silvia Capanema, maître de conférences à l’Université Paris-XIII et conseillère Départementale Vice-Présidente de Seine-Saint-Denis.

Maud Chirio, maîtresse de conférence en histoire contemporaine, Université-Paris Est Marne-La-Vallée

Luc Dufles Aldon, administrateur de l’association Autres Brésils

Juliette Dumont, maître de conférence en histoire à l’IHEAL

Gustave Massiah, membre fondateur du CEDETIM-IPAM

Beatriz Rodovalho, Doctorante à Paris III, administratrice d’Autres Brésils

Pierre Salama, professeur émérite d’économie, Université Paris-XIII

Glauber Sezerino, sociologue et co-président de l’association Autres Brésils