Élections au Honduras : il ne s’agit pas seulement de changer de président (Kassandra/ Blog Médiapart)

Les élections de ce 26 novembre se déroulent dans un climat tendu. Alors que l’alliance d’opposition dénonce la tentative de réélection de l’actuel président comme ilégale, ce dernier cherche à lier ses adversaires aux redoutables « maras », ces bandes qui sévissent en Amérique centrale et tente de faire croire à l’infiltration « d’agents vénézuéliens » pour déstabiliser le processus démocratique.

Voir également le communiqué de FAL https://www.franceameriquelatine.org/communique-fal-elections-au-honduras/

Ce dimanche, les honduriens sont appelés aux urnes pour élire 298 maires, 128 députés au parlement national, 20 députés au parlement centraméricain (PARLACEN) et un président. À propos de ce dernier, il est encore impossible affirmer s’il s’agira d’un « nouveau » ou de l’actuel chef de l’État qui brigue un second mandat. Cette situation constitue à la fois une nouveauté et une source de controverse au sein de la société. En effet, un des articles de la Constitution – « gravé dans le marbre », selon la formule consacrée – interdisait la réélection présidentielle, jusqu’à ce que le président Juan Orlando Hernández parvienne à faire entériner par la Cour Suprême de justice une réforme qui a permis au Tribunal suprême électoral d’enregistrer sa candidature.

Ligne continue = mort. Graffiti à Tegucigalpa, capitale du Honduras © Kassandra

Ironiquement, c’est précisément l’intention de se faire réélire qui, en juin 2009, avait été reprochée au président de l’époque José Manuel « Mel » Zelaya. Sa tentative de consulter la population sur l’opportunité de réformer la Constitution (et de convoquer une assemblée constituante), lui avait valu d’être renversé par un coup d’État. Si les exécutants directs du coup de force étaient en majorité liés au Parti Libéral (parti du président déposé), les actuels tenants du pouvoir (Parti National) ont par la suite largement récolté les fruits de la situation, notamment en remportant, en novembre 2009, des élections considérées comme illégales et boycottées par une grande partie de la population. Depuis lors, Juan Orlando Hernández se profile comme l’homme fort du régime et c’est depuis le poste de président du Congrès qu’avant même d’accéder à la mandature suprême en novembre 2013, il fait adopter une série de mesures – « el paquete » (le paquet) – destinées à renforcer le contrôle de l’exécutif sur les institutions de l’État et à militariser la société à travers la création de nouveaux corps d’élite de la police et de l’armée. Les élections du 26 novembre 2017 se déroulent dans un contexte où, si les chiffres officiels de la délinquance commune ont à peine baissé, la violence persiste contre les membres des mouvements sociaux et d’opposition. La criminalisation des mouvements sociaux et son pendant : l’impunité pour les auteurs des atteintes aux droits humains touche aussi les journalistes critiques qui exercent leur profession dans un climat à haut risque. Des 70 crimes contre des journalistes et collaborateurs de médias recensés par Reporters sans Frontières entre 2001 et 2017, 91% restent impunis. Et que dire de l’hécatombe, moins relayée au niveau international, qui frappe les mouvements paysans : dans la région du Bas Aguán (nord-est du pays), théâtre d’un conflit prolongé entre paysans et magnats de la monoculture de la palme africaine, les morts se comptent par centaines. Comptabilisant 18 victimes liées à un parti politique, le site Defensores en linea de l’organisation de défense des droits humains COFADEH (Comité de familles de détenus disparus du Honduras) s’inquiète de l’augmentation des crimes politiques depuis le début de la campagne électorale (http://defensoresenlinea.com/previo-a-comicios-electorales-aumentan-los-crimenes-politicos/).

À l’issue des élections de 2013 et malgré les accusations de fraude au profit du Parti National, le Parti Liberté et Refondation (LIBRE), fondé par l’ex-président José Manuel Zelaya devient la seconde force politique du pays ; une situation qualifiée à l’époque d’avancée démocratique par la mission d’observation de l’Union Européenne, en ce qu’elle rompait avec la tradition de bipartisme qui depuis près d’un siècle avait vu se relayer au pouvoir le parti national (PN, conservateur) et le Parti Libéral (PL). Une des tâches prioritaires des nouveaux parlementaires était d’œuvrer à la réforme de la loi électorale, mais quatre ans plus tard, c’est peu dire que cet objectif est loin d’avoir été atteint.

Face à une situation où les institutions sont totalement contrôlées par le parti gouvernemental, où les médias commerciaux et jusqu’à la hiérarchie de l’Eglise catholique prennent ouvertement fait et cause pour le pouvoir en place, trois formations politiques LIBRE, le Parti Innovation et Unité (PINU, social-démocrate) et une fraction du Parti Anti-Corruption (PAC, arrivé en 4ème position lors des élections de 2013) se sont unis au sein de « l’Alliance d’opposition contre la Dictature ». Ils constituent la principale force d’opposition. Loin derrière dans les sondages, le Parti Libéral et 6 autres petits partis satellites du Parti National sont également en lice.

Salvador Nasralla (Source : La Prensa)

L’alliance entre les partis (qui avaient participé dispersés aux élections de 2013), tient plus du mariage de raison que de la convergence idéologique. Évaluant comme peu probable ses possibilités de gagner seul et dans un souci de contrer les accusations de sectarisme dont il faisait l’objet, le Parti Libre a accepté de se ranger derrière Salvador Nasralla, jusqu’alors étiqueté de centre-droit, mais resté orphelin après avoir été évincé par une rivale du Parti anti-corruption (PAC) qu’il avait contribué à fonder. L’imposition de la réélection du président actuel s’est convertie en l’abcès de crispation durant la campagne électorale et le mot d’ordre commun (y compris au sein de Parti Libéral) est de faire barrage à la continuité du régime. L’évident contrôle de toutes les instances habilitées à organiser le processus électoral (Tribunal suprême électoral, Forces armées) ou à influer sur l’opinion publique (principaux médias commerciaux) contribue à alimenter la perception qu’une fraude de grande ampleur pourrait être en préparation. Échaudés par l’expérience des élections de 2013, entachées d’irrégularités dont LIBRE et le PAC (conduit alors par Salvador Nasralla furent à l’époque les principales victimes), l’Alliance a formé des « commandos anti-fraude » chargés de superviser la régularité de la procédure durant la journée électorale. Trois jours avant les élections, le candidat présidentiel de l’Alliance en personne a détaillé devant un auditoire fourni, les diverses tactiques que pourrait utiliser l’adversaire pour manipuler les résultats. Cependant, le jour des élections, force est de constater que les moyens des uns et des autres ne sont pas égaux : dès l’ouverture des bureaux de vote, le 26 novembre, des témoignages circulent selon lesquels dans certains quartiers défavorisés, les militants du Parti National distribueraient de l’argent (50 Lempira, soit 2 dollars) et des provisions aux électeurs. Dès 10 heures du matin, certains médias honduriens ont informé de la saisie dans un local du Parti National, d’actes de clôture des urnes déjà remplis.

http://criterio.hn/2017/11/26/decomisan-21-actas-cierre-poder-activistas-del-partido-nacional/

Par ailleurs, plusieurs centres de vote ont été fermés temporairement sans explications et des électeurs ont découvert en se rendant à leur bureau de vote habituel qu’un autre centre leur était assigné. Ce climat chaotique laisse planer la crainte que des désordres ne se produisent à la fermeture des bureaux de votes et surtout à la publication des premières estimations. Le président-candidat a d’ores et déjà pronostiqué un écart considérable en sa faveur par rapport à ses adversaires. De leur côté, Libre a annoncé son intention de défendre chaque vote alors que le candidat Libéral, Luis Zelaya a menacé de ne pas reconnaitre les résultats.

Ce scénario est périlleux car il contribuerait à donner crédit aux affirmations largement relayée par la presse favorable au gouvernement selon lesquelles, l’Alliance serait soutenue par la redoutable « Mara 18 », une bande criminelle qui opère et fait régner la terreur dans plusieurs pays d’Amérique centrale. Toute flambée de violence pourrait donner prétexte à  l’éventuelle intervention des forces armées déjà omniprésente dans les rues des principaux centres urbains.

Enfin, face aux questionnements sur la légitimité de sa candidature et sur l’absence de garantie de la transparence du processus électoral, le camp gouvernemental a sorti l’atout de l’intervention étrangère qui menacerait de déstabiliser le pays. À mesure que la date des élections approchait, se sont multipliées les attaques verbales et les accusations contre de supposés « agents infiltrés » de l’étranger. Cette chasse aux sorcières n’a épargné ni les journalistes soumis, pour certains, à de véritables interrogatoires à leur arrivée dans le pays, ni certains parlementaires ou personnalités politiques invitées par l’Alliance. Les membres de la Conférence Permanente des Partis politiques d’Amérique latine (COPPPAL) par exemple, réunis au Honduras, trois jours avant les élections, ont vu leur visa limité à la veille des élections et contraints de payer une amende pour pouvoir prolonger leur séjour.  Les plus stigmatisés ont été sans conteste les citoyens vénézuéliens, pour lesquels le gouvernement a établi un modèle de « visa concerté ». C’est ainsi que le groupe musical Los Guaraguaos, bien connu dans toute l’Amérique latine, a été refoulé à l’aéroport après avoir été retenu pendant près de 18 heures par les autorités. Mais curieusement, l’alerte concernant l’incursion supposée de 145 « agents infiltrés envoyés directement par le président vénézuélien Nicolás Maduro » est venue… de l’étranger… mais un étranger proche et « protecteur », incarné par Otto Reich, ex-diplomate étasunien et ex-secrétaire aux affaires de l’hémisphère sud durant le mandat de Georges Bush Sr. Une référence donc en termes de non-ingérence. En effet, au-delà des affrontements politiques au niveau local, des changements constitutionnels légitimes ou non, il est une question qui préside de manière immuable à toutes les élections au Honduras : celle de savoir quel est le candidat adoubé par l’Ambassade ?

https://blogs.mediapart.fr/kassandra/blog/261117/elections-au-honduras-il-ne-s-agit-pas-seulement-de-changer-de-president