Le silence devrait être interdit quand une démocratie est menacée ici ou ailleurs

La crise politique au Brésil mérite de la part de la gauche française et de son gouvernement socialiste, un peu plus de solidarité. Peu de partis de gauche ont réagi contre le coup d’Etat au Brésil.

 

Il faut souligner que le coup d’Etat parlementaire au Brésil aura une incidence sur tous les gouvernements progressistes en Amérique latine. Sans doute on ne peut nier le rôle des gouvernements Lula et Dilma dans la stabilité de l’Amérique latine dans un contexte de crise politique et économique et dans la construction des relations multilatérales- en Bolivie en 2003 et 2006; au Venezuela, en 2003 et 2012 et en Argentine en 2001- Il n’y a pas de doute sur la performance de leur action diplomatique et sur la solidarité mise en œuvre dans les périodes de crise politique et économique ainsi que dans la mise en place des accords multilatéraux d’Amérique Latine. Tout cela a été et demeure essentiel pour la stabilisation de la paix et de la démocratie.

La diplomatie brésilienne a fait des efforts considérables pour l’intégration régionale et a participé de façon active à une nouvelle configuration géopolitique mondiale. Le nouveau président d’OMC- Organisation Mondial du Commerce – l’ambassadeur brésilien Robert Azevedo a déclaré en 2011 que le choix du Brésil pour le multilatéralisme, à la fois politique et économique, a été un élément permanent de la continuité de l’action diplomatique brésilienne. Avec un intérêt spécial pour un système multilatéral représentatif, démocratique et doté de mécanismes prévus pour promouvoir une coopération fondée sur le droit international.

Sa diplomatie a construit un discours responsable sans le sectarisme d’un discours anti-américanisme ; simplement les gouvernements de Lula et Dilma ont voulu avoir une coopération fondée sur la réciprocité pour rompre avec l’hégémonie impérialiste. En faisant un certain contrepoids à la politique américaine, la diplomatie brésilienne cherchait un équilibre géopolitique équitable en Amérique Latine. Le Brésil est devenu un acteur important sur la scène internationale. Il a participé activement à la création des BRICS qui se situe dans ce cadre de la politique de rapprochement avec des pays comme la Chine, l’Inde, la Russie, l’Afrique du Sud. Cela marque une nouvelle voie dans l’histoire de la coopération internationale. Et cette stratégie diplomatique n’a pas empêché le Brésil de poursuivre son engagement en faveur des accords bilatéraux avec les États-Unis et en Europe. La politique de coopération internationale brésilienne a également été élargie de façon intense avec les pays du continent Africain et avec l’ensemble de l’Amérique du Sud et Caribe, instituant la solidarité Sud / Sud/ ainsi que Sud/Nord.

En effet, la question du coup d’Etat parlementaire au Brésil n’est pas isolée du contexte international de la crise du capitalisme financier. Il y a eu une remise en cause des politiques néolibérales quand les grandes puissances ont vu les économies s’effondrer à partir de 2008.  Même si le néolibéralisme était largement responsable, l’idéologie n’a pas été emportée par la crise car elle a fait l’objet d’une réorganisation et les Etats sont intervenus pour éviter la dépression et la faillite du système. Keynes a été vite ressuscité et très vite enterrer. Le continent sud-américain ne pouvait pas suivre l’autre chemin hors le néolibéralisme…

Sans adhérer aux théories du complot, il existe des éléments qui leur donnent une certaine crédibilité, par exemple, dans l’organisation et l’appui logistique aux militants de la droite sur le sol brésilien pour préparer le déclenchement du coup d’état. Déstabiliser un rival potentiel est la règle pour le maintien de l’hégémonie des États-Unis en Amérique latine et, par extension, réduire la capacité conjointe de la Chine, la Russie, l’Inde et Afrique du Sud dans le continent. Le Brésil a joué un rôle très important dans l’agrégation des forces des pays en voie de développement vers une ouverture, voire une démocratisation des institutions multilatérales.

Les Etats Unis n’ont jamais accepté l’alliance Rousseff avec les pays BRICS, ainsi que le rôle perturbateur du Brésil à propos de  la géopolitique du pétrole et du gaz anglo-américaine. La plateforme continentale du Brésil est de plus de 100 milliards de barils de pétrole, ce qui fait du  pays une puissance pétrolière et de gaz. Exxon et Chevron, les géants pétroliers américains se sont efforcés  d’en prendre le contrôle. La Présidente brésilienne a osé défier les Etats Unis quand l’entreprise brésilienne Telebras a annoncé des plans pour la construction d’un câble sous-marin de télécommunications à fibres optiques avec le Portugal à travers l’Atlantique. Elle a prévu de prolonger le câble de 5600 km, de Fortaleza au Portugal. Cela représente une rupture majeure dans les communications transatlantiques dans le domaine de la technologie américaine. Il s’agit de contrecarrer la vulnérabilité aux Etats-Unis de la surveillance électronique NSA de Washington. De plus, le Brésil a toujours privilégié les accords multilatéraux entre les pays et cela ne plaisait pas aux États-Unis qui veulent continuer leur domination commerciale avec l’Amérique latine et avec les autres pays : leurs accords transatlantiques avec l’Union européenne et l’accord Trans-Pacifique TPP, (son sigle en anglais), un accord commercial historique entre les Etats-Unis, le Japon et dix autres pays du Pacifique. Toute la question est de savoir pour quoi la Président Dilma Rousseff a été mise sur l’écoute et est devenue alors une cible de choix de déstabilisation politique.

Les Etats Unis, le berceau de la démocratie, dit-on – mais ne semble pas apprécier la vitalité de la participation des organisations sociales brésiliennes dans le cadre de la démocratisation des organisations multilatérales, c’est le cas de l’OMC avec ses accords généraux sur le commerce  des services. Il y a eu une forte mobilisation des organisations sociales qui estiment que ces accords font partie d’un agenda néolibéral qui, dans le cas particulier des services, prendrait le pas sur le bien-être réel des populations concernées, en se concentrant uniquement sur la marchandisation des services publics essentiels (tels l’éducation ou le système de santé). Le fait que des secteurs, considérés comme du domaine étatique, puissent faire l’objet de négociations non-démocratique présagerait selon eux à terme la disparition du pouvoir de régulation des États et donc, de leur rôle historique.

Il faut noter que dans les pays de l’Amérique du Sud tel que le Brésil qui ont connu des dictatures pendant plus de deux décennies, la démocratie repose sur la responsabilité des citoyens d’un pays et il n’y a pas de démocratie sans conscience d’appartenances à une collectivité politique, à un territoire, à une région. Au Brésil la constitution de 1988 est la première à consacrer un ensemble de principes qui guident le Brésil sur la scène internationale. Cette orientation internationaliste traduit les principes de la primauté des droits de l’homme, de l’autodétermination des peuples, le refus du terrorisme et du racisme et de la coopération entre les peuples pour le progrès de l’humanité, conformément à l’article 4, paragraphes II, III, VIII et IX.  L’article 4 dans son ensemble, symbolise la réinsertion du Brésil sur la scène internationale. Reconnaissant la prévalence des droits de l’homme dans leurs relations internationales, le Brésil reconnaît également l’existence de limites et de contraintes concernant la souveraineté de l’Etat, laquelle est soumise à des règles juridiques, à la norme requise de la prévalence des droits de l’homme. C’est pourquoi nous ne pouvons pas laisser dépérir les valeurs communes des principes démocratiques. L’Union Européenne est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’État de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. La commission européenne a beaucoup aidé les organisations sociales au Brésil dans la lutte pour la démocratisation. Elle a financé plusieurs projets d’éducation citoyenne dans la démarche innovatrice de la démocratie participative. Dans la lutte contre l’exclusion, dans la défense des droits humains. Et grâce à la solidarité des Ongs européenne une nouvelle société civile au Brésil a émergé, pleine de vitalité. C’est elle qui a réinventé la gouvernabilité locale fondée sur la démocratie participative des municipalités brésiliennes PT. Cette démarche a intéressé la gauche française et européenne et elle a cherché à mieux la connaitre et la comprendre. Les municipalités de gauche en France et en Europe ont cherché à construire des fraternités, des jumelages avec les municipalités brésiliennes visant à renouveler la vieille démocratie française de plus en plus rejetée par ses citoyens. Il est intéressant de noter que la candidate du Parti socialiste, Ségolène Royal, a utilisé la démocratie participative comme thème de sa campagne présidentielle. Personne ne peut oublier que Porto Alegre est devenue la capitale de la démocratie participative et le berceau du Forum Social Mondial où l’alternative à gauche, les altermondialistes crièrent qu’un autre monde était possible.

En réponse à la crise politique institutionnelle, la menace qui pèse sur la démocratie et de ses acquis sociaux  au Brésil et ses hypothèses, nous affirmons qu’il est inconcevable que l’ensemble de la gauche européenne et surtout la gauche française n’apportent pas leur solidarité à Dilma Rousseff, aux mouvements sociaux, aux artistes, aux intellectuels qui sont dans les rues occupent les écoles, les universités, les théâtres.

Aujourd’hui toutes ces conquêtes sont menacées par un coup d’état parlementaire sans que cela semble interroger les partis européens de gauche. En France, seul le Parti communiste a exprimé sa solidarité avec le président Dilma Rousself.

Malheureusement, la perte de la capacité de penser les questions d’ordre politique et géopolitique hors de l’espace hexagonal français devient de plus en plus rare. Il semble que l’esprit de l’internationalisme est en train de disparaître dans les luttes politiques. Il suffit de regarder ce qui se passe dans l’Union européenne. Cet espace géopolitique pourrait être un formidable lieu d’intégration régionale des luttes sociales contre l’expansion de l’idéologie néolibérale. Ce désintérêt est paradoxal dans un monde globalisé et dans un espace géopolitique complètement soumis aux règles de l’idéologie néolibérale. La gouvernance mondiale a été créée pour défendre les intérêts du marché globalisé, c’est presque une stratégie de guerre économique où les plus performants dominent en imposant leurs règles. Face à la perte d’autonomie politique d’une société de plus en plus dominée par les intérêts économiques d’un monde global, il est impossible de devenir un citoyen passif. Cette réalité devrait exiger au contraire bien plus de solidarité et inciter la gauche et l’ensemble des organisations sociales à une plus grande réactivité face à une idéologie qui laisse les démocraties de plus en plus vulnérables. Une minorité gouverne sans légitimité pour une majorité. Ici et au Brésil le phénomène est le même.

Aujourd’hui, nous sommes confrontés à un grand défi : nos sociétés peuvent-elles fonctionner démocratiquement sans valeurs communes?

Il ne fait pas de doute que la destitution de la Présidente Dilma Rousseff a été planifié au plan national et probablement avec l’aide internationale. Avec l’appui du quatrième pouvoir et des secteurs conservateurs du pouvoir judiciaire, une femme honnête a été mise en pâture. La presse brésilienne et ses complices internationaux ont donné l’image d’une Présidente empêtrée dans les scandales de corruption et définitivement en position d’accusée.  Le quotidien Folha de Sao Paulo a lâché, lundi 23 mai, une véritable bombe politico-médiatique en publiant la transcription de l’enregistrement d’une conversation datant du mois de mars, entre le ministre intérimaire de la planification Romero Juca et un ancien sénateur de son parti, Sergio Machado. Dans cet échange téléphonique, les deux hommes s’inquiètent de l’avancée inexorable de l’enquête sur les détournements de fonds au sein du groupe public Petrobas qui éclabousse la classe politique brésilienne. Romero Juca propose alors «un pacte», passant par la destitution de la présidente de gauche Dilma Rousseff pour étouffer l’affaire Petrobas dans laquelle il est lui-même visé : «La destitution est nécessaire. Il n’y a pas d’autre issue. Il faut résoudre toute cette merde. Il faut changer le gouvernement pour stopper l’hémorragie.» «Il faut un accord, mettre Michel Temer au pouvoir, un grand accord national», lui répond le sénateur, qui a semble-t-il enregistré cette conversation à l’insu de son interlocuteur pour nouer un futur accord de collaboration avec la justice en échange d’une remise de peine. La révélation des enregistrements démontre la véritable raison du coup d’état pratiqué contre la démocratie et contre le mandat légitime de Dilma Rousseff. «  L’objectif est de freiner l’enquête Petrobras et de la mettre sous le tapis », a réagi l’ancien ministre de gauche Ricardo Berzoini.

C’est pour cette raison que je  dis à tous les mouvements sociaux, à tous les partis de gauche en Europe que le silence devrait être interdit quand une démocratie est menacée ici ou ailleurs.

 

Source : 

Marilza de Melo Foucher

Blog Médiapart, 30 mai 2016