Une révolte sociale au Mexique

Le début du mois de jan­vier a été mar­qué par des mou­ve­ments sociaux par­ti­cu­liè­re­ment nom­breux et vio­lents au Mexique. On n’en a guère entendu par­ler en France. Les quelques articles sur le sujet se bornent géné­ra­le­ment à poin­ter des actes de pillage et à men­tion­ner les vic­times (plu­tôt celles de la police d’ailleurs). Pour­tant, les mou­ve­ments ne se limitent pas à des pillages de maga­sins, au demeu­rant peut-être pro­vo­qués par des poli­ciers infil­trés, mais consistent prin­ci­pa­le­ment en de gigan­tesques mani­fes­ta­tions, le blo­cage des voies de com­mu­ni­ca­tion (y com­pris vers les États-Unis) ou encore l’occupation de stations-essence. Qu’on ne s’y trompe pas : il ne s’agit pas d’émeutes d’une popu­lace en colère, mais d’un mou­ve­ment social mas­sif, à l’échelle du pays, sans direc­tion poli­tique et coa­li­sant des sec­teurs entiers de la popu­la­tion, des couches les plus pauvres aux classes moyennes.

À l’origine de la colère de la popu­la­tion mexi­caine, se trouve une aug­men­ta­tion bru­tale et impor­tante du prix de l’essence (à Mexico, elle est de +20 %, +16 % sur le die­sel). Elle est une consé­quence du pro­ces­sus de priva­ti­sa­tion de l’entreprise publique Pemex, Petró­leos Mexi­ca­nos, qui gère le mono­pole public du pétrole depuis la natio­na­li­sa­tion de cette indus­trie en 1938. Depuis cette date, le pays est devenu un des prin­ci­paux expor­ta­teurs de pétrole et la rente pétro­lière a contri­bué au finan­ce­ment de l’État mexi­cain, tan­dis que les prix pour les consom­ma­teurs locaux étaient fixés à des niveaux rela­ti­ve­ment faibles. Mais le mono­pole public est, depuis tou­jours et tout par­ti­cu­liè­re­ment depuis les années 1980, une des cibles prin­ci­pales des capi­ta­listes (locaux et étran­gers) et la libé­ra­li­sa­tion du mar­ché du pétrole est un pro­jet ancien et sys­té­ma­ti­que­ment mis en échec, jusqu’à l’annonce de la semi-privati­sa­tion de Pemex en 2013. Il s’agissait alors d’une incroyable attaque de l’État mexi­cain contre lui-même : le carac­tère inalié­nable de Pemex était ins­crit dans la consti­tu­tion et les reve­nus du pétrole occu­paient une part consi­dé­rable des reve­nus de l’État. Les « réformes », pré­sen­tées comme une mesure de jus­tice, devaient per­mettre, par le jeu de la concur­rence, de faire dimi­nuer le prix de l’essence et donc per­mettre de redé­ployer les sub­ven­tions qui étaient allouées à son main­tien. Or, depuis 2013, le prix n’a cessé d’augmenter et les coupes bud­gé­taires de s’amplifier.

Pro­fi­tant des fêtes de fin d’année, le gou­ver­ne­ment espé­rait peut-être éviter de trop fortes mobi­li­sa­tions contre cette nou­velle hausse. C’est peu de dire que son impact sur la vie de la popu­la­tion était sous-estimé ! Le 6 jan­vier, devant les mobi­li­sa­tions mas­sives et l’annonce d’une marche natio­nale pré­vue le 9, le pré­sident, Enrique Peña Nieto, tente de se jus­ti­fier lors d’une confé­rence de presse. Il affirme une nou­velle fois que l’augmentation est juste et liée à l’augmentation des prix de l’essence à l’international. L’idée est que le poids de l’augmentation va por­ter sur les caté­go­ries les plus aisées (celles qui ont une voi­ture) et que le niveau des prix des biens de pre­mière néces­sité res­te­rait stable, grâce à une négo­cia­tion orga­ni­sée entre le gou­ver­ne­ment, les entre­prises et les syn­di­cats. Sauf que de nom­breuses caté­go­ries de tra­vailleurs ont une voi­ture, que les trans­ports en com­mun ne sont pas en mesure de prendre le relais et que le prin­ci­pal syn­di­cat patro­nal du pays, Copar­mex, a immé­dia­te­ment refusé de signer l’accord proposé.

Au-delà du carac­tère symp­to­ma­tique de cette aug­men­ta­tion, c’est contre tout un sys­tème que la popu­la­tion mexi­caine pro­teste. La cor­rup­tion est en effet géné­ra­li­sée et grève bien plus les finances publiques que les fluc­tua­tions du baril de pétrole. Sur le plan écono­mique, la chute du peso liée aux élec­tions amé­ri­caines risque d’amplifier la crise dans un pays dont la balance exté­rieure est sys­té­ma­ti­que­ment défi­ci­taire.

En outre, la situa­tion poli­tique et sociale est extrê­me­ment dif­fi­cile. La pau­vreté est très déve­lop­pée et les inéga­li­tés conti­nuent de se creu­ser. Les meurtres et les enlè­ve­ments n’ont jamais été aussi nom­breux et géné­ra­lisent un cli­mat de peur. L’armée est pré­sente dans les rues depuis le début des années 2000, quand la majo­rité de droite d’alors décide d’y recou­rir de plus en plus régu­liè­re­ment pour lut­ter contre le tra­fic de drogue. Les années les plus dif­fi­ciles de la « guerre contre la drogue », à l’époque du man­dat de Felipe Cal­derón (2006–2012) semblent de retour : en 10 ans, cette « guerre » a pro­vo­qué 150 000 morts et près de 30 000 dis­pa­ri­tions. Le pré­sident lui-même est extrê­me­ment impo­pu­laire, d’autant qu’il est direc­te­ment impli­qué dans des scan­dales de cor­rup­tion, tout par­ti­cu­liè­re­ment les conflits d’intérêt en cas­cade dans l’affaire de la « mai­son blanche », révé­lée en novembre 2014. Enfin, la cri­tique oppor­tu­niste de l’augmentation du prix du pétrole par les deux prin­ci­paux par­tis d’opposi­tion (PAN et PRD) contri­bue à affai­blir l’État, tout en ne les assu­rant pas de béné­fi­cier du regain de popu­la­rité qu’ils semblent escomp­ter : ils ont tous trempé dans la modi­fi­ca­tion de la consti­tu­tion ayant per­mis la pri­va­ti­sa­tion de Pemex.

Face à ces mobi­li­sa­tions, le gou­ver­ne­ment a réagi notam­ment par la force, en s’appuyant sur les pillages pour jus­ti­fier la répres­sion : plu­sieurs morts et plus de 1500 arres­ta­tions parmi les mani­fes­tants. Face à cela, les tra­vailleurs, en France et ailleurs, doivent affir­mer leur sou­tien aux tra­vailleurs du Mexique dans les épreuves et les mobi­li­sa­tions qui les attendent. Cela implique de ne pas tom­ber dans le piège de la pro­pa­gande média­tique sur la vio­lence ou de se lais­ser ber­cer par les contes sur le déve­lop­pe­ment mira­cu­leux du Mexique, sou­dai­ne­ment brisé par la grogne d’une popu­lace inculte et irres­pon­sable. On a rap­pelé que la situa­tion est par­ti­cu­liè­re­ment ten­due et les capi­ta­listes, sin­gu­liè­re­ment aux Amé­riques, sont par­ti­cu­liè­re­ment prompts à ten­ter d’écraser par des coups d’état tout mou­ve­ment popu­laire et démo­cra­tique. Au Mexique, ne serait la dés­union des par­tis au pou­voir, tout est en place pour que la situa­tion dégé­nère encore davan­tage. Devant ces ter­ribles dan­gers, on ne peut qu’espérer que la contes­ta­tion ne s’essouffle pas mais se main­tienne dans la durée. Cela ne sera pos­sible que par une immense déter­mi­na­tion face aux cor­rom­pus de tous poils alliés au grand ban­di­tisme, et une auto-organisation à l’échelle locale de la population.

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