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Au Honduras, les assassinats de militants écologistes se multiplient

Le Honduras détient un triste record, celui du nombre de militants écologistes assassinés. En mars, deux activistes ont de nouveau été tués. Ils s’opposaient au barrage d’Agua Zarca et à l’accaparement des terres.« Ils me suivent. Ils menacent de me tuer, de me kidnapper, ils menacent ma famille. Voilà à quoi nous devons faire face », disait Berta Cáceres. Activiste du Honduras et lauréate du prix Goldman pour l’environnement 2015, elle a été tuée dans son lit le 3 mars 2016, par des hommes armés entrés par effraction au petit matin dans sa maison. Elle avait aussi déclaré à CNN : « Dix membres de mon association ont déjà été tués en toute impunité. »

Ils sont douze, maintenant, après l’assassinat en pleine rue, le 16 mars dernier, de son ami Nelson García, abattu de quatre balles en plein visage par des inconnus et en présence des forces de l’ordre, au cours de la violente expulsion par la police et l’armée de 150 familles de la communauté du Rio Chiquito.

Nelson García et Berta Cáceres étaient tous deux membres de Copinh, le Conseil civique des organisations populaires indigènes du Honduras, qui défend les droits du peuple lenca, menacé par le barrage d’Agua Zarca, qui bloquerait leur accès à la rivière Gualcarque, fleuve sacré et source majeure d’eau et de nourriture.

Le Honduras « ouvert aux entreprises »

Leurs amis sont inquiets pour les autres membres du Copinh et pour les familles qui ont fait l’objet de harcèlement et d’intimidation par les autorités. Même le président du Honduras, Juan Orlando Hernandez (dont le parti est soupçonné d’avoir détourné de la Sécurité sociale des sommes colossales pour financer sa campagne électorale en 2013), a demandé au Jordanien Zeid Ra’ad Al Hussein, Haut Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, d’accompagner l’enquête sur le crime de Berta Cáceres… Et Leonardo Di Caprio a exprimé son désarroi sur son compte Twitter.

Un porte-parole de Copinh assure que « les autorités honduriennes enquêtent peu sur ces crimes et font très peu pour protéger les autres membres de l’organisation, dont les dirigeants ont même été harcelés, alors que ceux qui les menacent restent libres. » La police a ainsi arrêté sans raison pendant 48 h Aureliano Molina, l’un des derniers dirigeants de Copinh, et a suggéré que les meurtres auraient pu être des « crimes passionnels ». Quelques jours plus tard, plusieurs hommes à bord de voitures sans plaque d’immatriculation ont encerclé la maison de Molina et ont essayé d’y entrer. Huit des neuf coordonnateurs de l’organisation à La Esperanza, ville où Berta Cáceres a été tuée, ont été depuis interrogés pendant 12 heures de suite sans être informés des raisons de leur interrogatoire.

Les meurtres de militants communautaires à Rio Chiquito sont exemplaires des violentes attaques contre les militants des droits humains et de l’environnement au Honduras depuis le coup d’État – soutenu par les États-Unis – qui a renversé le gouvernement progressiste de Manuel Zelaya, en 2009. Avec 109 militants écologistes assassinés entre 2010 et 2015, selon l’ONG Global Witness, le Honduras est le pays le plus dangereux du monde pour les défenseurs de l’environnement.

Deux mois après le coup d’État, le nouveau président, Porfirio « Pepe » Lobo, a déclaré le Honduras « ouvert aux entreprises », effaçant la protection juridique des terres autochtones. Les investisseurs ont accouru, attirés par les ressources minières et rassurés par les 47 nouveaux projets hydroélectriques, dont celui d’Agua Zarca, qui devrait générer 22 mégawatts d’électricité, mais en détruisant les terres agricoles et les villages des Lencas.

Pendant l’année 2013, la communauté lenca de Rio Blanco et le Copinh avaient réussi à bloquer la route d’accès au chantier, forçant finalement la firme chinoise Sinohydro à renoncer à son contrat. La Banque mondiale avait également retiré son financement. La communauté lenca semblait avoir gagné, au prix de plusieurs activistes tués ou blessés par des soldats qui gardaient le chantier de construction.

Destruction des maisons de cinquante familles

Puis, en juillet 2015, Desa, l’entreprise locale qui détient la concession du barrage, a décidé de continuer seule. Une nouvelle phase de la lutte a commencé, avec des manifestations pacifiques réprimées avec violence. Les bulldozers sont arrivés pour démolir les villages dans la vallée. Les menaces contre les dirigeants de Copinh, et contre Berta Cáceres en particulier, ont augmenté. Des mesures de protection spéciales pour la militante ont été demandées par la Commission interaméricaine des droits de l’homme, mais le gouvernement hondurien ne les a jamais correctement mises en œuvre. Le 20 février, une marche pacifique a été bloquée et 100 manifestants ont été arrêtés par des agents de Desa. Le 25 février, 50 familles ont dû assister à la démolition de leurs maisons dans la communauté de La Jarcia.

Avec l’assassinat de Berta Cáceres, le 3 mars, et plus encore celui de Nelson García le 16, les bailleurs de fonds internationaux du projet controversé d’Agua Zarca ont commencé à se débander. Le jour de la mort de Nelson Garcia, la banque néerlandaise FMO, le prêteur principal, a annoncé qu’elle suspendait toutes ses activités au Honduras, en particulier le financement d’Agua Zarca. Le fonds d’investissement finlandais Finnfund a aussi annoncé son retrait.

Pour Mark Goldring , directeur général d’Oxfam en Grande Bretagne, « Agua Zarca est une litanie d’échecs, comme la plupart des projets d’acquisition de terres à grande échelle pour l’exploitation des ressources naturelles sur les territoires de populations autochtones. Il y a des principes bien établis que les investisseurs doivent suivre, dont celui du libre consentement éclairé des populations. »

Élisabeth Schneiter pour Reporterre

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