Avortement légal en Argentine. Et ailleurs en Amérique latine ? (Olga L. Gonzalez / Contretemps)

Le Parlement argentin a voté, à la toute fin de l’année 2020, une loi historique qui légalise l’avortement dans ce pays. L’interruption volontaire de grossesse devient légale jusqu’à la quatorzième semaine de la grossesse. Après Cuba, l’Uruguay, le Guyana et Puerto Rico, l’Argentine devient le cinquième pays d’Amérique latine à autoriser ce droit fondamental aux femmes. Du fait de son importance dans le continent, on pourrait penser que ce vote influera grandement dans les débats relatifs à l’avortement dans plusieurs autres pays d’Amérique latine. Cependant, on le verra, le débat se déroule de manière très différente dans les autres pays. En particulier, il est peu probable qu’un débat parlementaire y ait lieu. 

Olga L. Gonzalez est docteure en sociologie, chercheure associée à l’Urmis, Université de Paris, Fellow de l’Institut Convergences Migrations.

Avant d’examiner les termes du débat et les lois relatives à l’avortement dans le reste du continent, il convient de s’interroger sur les raisons du revirement politique argentin. Il faut en effet se rappeler de l’immense déception de 2018, quand le Sénat argentin, lors d’un vote très serré, se prononça majoritairement contre le projet de loi pour l’avortement, alors que dehors, les rues étaient gagnées à la cause de l’avortement. La déception fut d’autant plus grande que c’était la première fois que le Parlement argentin examinait un projet de loi sur cette question. Qu’est-ce qui a changé depuis ? Quels facteurs expliquent le triomphe politique d’aujourd’hui ?

Le changement dans l’exécutif a été pointé par des analystes comme un facteur déterminant. En effet, le président Alberto Fernández, péroniste, a été un soutien ferme de la loi. Aujourd’hui, il affirme s’être toujours opposé, en tant que professeur universitaire (il est juriste),  à la pénalisation des femmes qui avortent. Dès 2018, et avant de devenir candidat présidentiel, il avait ouvertement pris parti pour l’IVG ; celle-ci fut également une de ses promesses durant la campagne électorale de 2019. Mais ce soutien politique semble traduire surtout la volonté de se mettre en phase avec la majorité des citoyens. Le cas de son prédécesseur, Mauricio Macri est, lui très éloquent. Opposé personnellement à l’avortement, celui qui affirmait en 2015 : « L’Argentine n’est pas prête pour ce débat », ouvrait les séances parlementaires de 2018 en invitant à réaliser un débat sur l’avortement.

Dans ce même registre de volte-face politique, rappelons que l’ancienne présidente péroniste Cristina Kírchner (2007 – 2015) avait été, elle aussi, une ferme opposante à ce droit en raison de ses convictions personnelles. Si elle a changé d’avis en 2018, tout comme plusieurs autres députés et personnalités politiques, c’est sans aucun doute à cause de l’immense mobilisation féministe en Argentine.

La lutte pour l’avortement est une des causes majeures du très dynamique et très divers mouvement féministe argentin. La « marée verte », du nom du symbole de la manifestation pour le droit à l’avortement (le foulard vert est brandi par les partisans de l’avortement, bien qu’on ignore l’origine précise de ce symbole) s’inscrit pleinement dans les mobilisations récentes dans le pays, et notamment celles, très imposantes, contre les féminicides (#NiUnaMenos), dès 2015, et pour la grève des femmes, en 2017 (#NosotrasParamos). Porté majoritairement par les jeunes, ce mouvement est présent dans l’espace public sous le mode traditionnel des manifestations et également dans les réseaux sociaux. Dans tous les cas, il entend bousculer le patriarcat et son système de valeurs et de privilèges. Le projet de loi de 2018, puis celui présenté en 2020, ont été un catalyseur des différents secteurs féministes, des groupes locaux aux grandes fédérations d’étudiants, en passant par les représentants de syndicats, les mouvements de chômeurs, des usines « récupérées », etc.

La pandémie n’a pas cassé la dynamique en œuvre. Comme le dit Claudia Korol, militante féministe et Professeure à l’Université populaire des « mères de la place de mai » à Buenos Aires :

Nous sommes passées du « Reste à la maison » au « Sortons ! Pour la loi ! ». Ce slogan fut créé par la Campagne pour expliquer que la probabilité que la loi soit approuvée dépendait de l’envergure de la marée verte dans les rues. Nous retrouver sous le mode « marée verte » nous a donné beaucoup d’espoir, il nous a collé à la peau. Nous nous sommes regardées, avec un mélange de joie et d’incrédulité, curieux de savoir comment nous étions, après tout ce temps confiné. « Nous y sommes » ? –« Oui, nous y sommes ! Et on continue ! ». Malgré les masques, malgré la distance physique imposée par le soin des uns vis-à-vis des autres, nous ne pouvions résister à l’élan. On se serre, coude contre coude, poing contre poing, nous nous sommes retrouvés, non plus par le biais d’un écran, mais en chair et en os, dans des corps dégourdis grâce à la marée.

En somme, les deux projets de loi (2018 et 2020) sont la suite de cette immense mobilisation féministe (dont on peut voir des traits dans le documentaire de Felipe Solanas, Que sea ley).

Qu’en est-il des autres pays d’Amérique latine ? Au niveau légal, l’avortement y est pénalisé sauf, en règle générale, pour les exceptions relatives à ce que l’on nomme communément l’ « avortement thérapeutique », c’est-à-dire 1) l’interruption médicale de grossesse en cas de risque vital pour la femme enceinte ou 2) en cas de malformation du fœtus. Un troisième cas de figure, en cas de viol de la mère, est parfois pris en compte également. Cependant, tous les pays n’autorisent pas ces trois cas de figure (ainsi, au Pérou, en Equateur l’avortement n’est pas autorisé en cas de viol). De plus, certains pays (comme le Nicaragua, le Honduras, El Salvador ou la République Dominicaine) n’autorisent l’avortement sous aucuns cas de figure. Les procès et les peines sont sévères. Ainsi, au Salvador, au Pérou, en Colombie, en Équateur, au Mexique, des femmes sont dénoncées, poursuivies, harcelées, poussées au suicide, emprisonnées. Récemment au Brésil, l’avortement d’une fille âgée de dix ans (après un viol par son oncle) fut condamné par la ministre de la famille, évangélique. Il s’ensuivit un lynchage médiatique de cette enfant.

Malgré ce contexte très hostile, dans les grandes villes du continent, l’avortement clandestin se pratique au su de tout le monde, moyennant des sommes et des contacts que les femmes les plus pauvres, les plus isolées ou les plus jeunes ne peuvent pas se procurer. Ce sont elles qui courent le plus de risques en termes de santé ; ce sont elles, également, qui sont le plus souvent poursuivies dénoncées et pénalement poursuivies.

Dans un tel contexte, quel est le type de mobilisation déployé par les femmes ? Prenons le cas de la Colombie, troisième pays le plus peuplé du continent latino-américain après le Brésil et le Mexique. L’avortement y est autorisé dans les trois cas de figure signalés plus haut. Cependant, les avortements légaux ne représentent qu’une fraction des centaines de milliers d’avortements clandestins qui sont réalisés tous les ans. Et alors même qu’elles auraient théoriquement droit à l’avortement, de très nombreuses femmes ne réussissent pas à se faire pratiquer une IVG (une des raisons peut être, par exemple, le refus des gestionnaires d’établissements de santé d’autoriser cette intervention).

Les groupes féministes, conscients de cette situation, dénoncent les « barrières systémiques » pour avorter, même légalement. Études et données à l’appui, elles ont demandé à la Cour Constitutionnelle de statuer sur le droit à l’avortement. (…)

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Communiqué de France Amérique Latine.
Avortement légal, sûr et gratuit: une victoire historique en Argentine et une lutte qui avance dans toute l’Amérique latine.
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Es ley: légalisation de l’IVG en Argentine.
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