Pandémie au Brésil : des habitants et des soignants témoignent (Elise Lambert – France Info / Julien Lecot – Libération)

Avec plus de 358 000 morts, le Brésil est le deuxième pays le plus touché au monde par le Covid-19. Le variant détecté en Amazonie fait des ravages et la vaccination, trop lente, peine à contenir les contaminations. Voyant arriver des patients toujours plus jeunes et plus nombreux, les médecins et infirmier.e.s brésilien.ne.s sont épuisé.e.s, et peinent à voir le bout du tunnel.

Enterrement d’une personne décédée du Covid, São Paulo, Brésil, mars 2021.
Photo: REUTERS/Amanda Perobelli

Témoignages d’habitant.e.s
(Elise Lambert – France Info
)

Des témoins racontent une année de pandémie de Covid-19 au Brésil.  
Image: Jessica Komguen / France Info

Pénurie d’oxygène, système de santé saturé, hécatombe dans les hôpitaux… Le Brésil traverse une crise sanitaire dramatique depuis plus d’un an, aggravée ces dernières semaines par la propagation du variant P.1, jugé plus résistant aux vaccins. Au seul mois de mars 2021, le pays de 211 millions d’habitants a enregistré 66 500 morts du Covid-19, soit plus du double que le précédent record mensuel de juillet 2020. Tous les indicateurs sont au rouge : au 14 avril, le taux d’incidence national était de 6 471 (contre 342 en moyenne en France), et près de 4 000 décès étaient enregistrés chaque jour. Malgré la gravité de la situation, le président Jair Bolsonaro continue de minimiser les faits et refuse d’imposer un confinement national, afin de préserver l’économie. La crise sanitaire est telle que le Sénat brésilien a annoncé l’ouverture prochaine d’une enquête sur la gestion de la pandémie par le chef de l’État, tandis que l’ex-président Lula a qualifié cette épidémie de “plus gros génocide” de l’histoire du Brésil. Entre colère et détresse, cinq témoins brésiliens racontent à France Info leur année, marquée par cette pandémie

Ariadne, 30 ans, professeure de français à Manaus :
“J’ai vécu dix-huit jours de torture”

“Quand j’ai appris l’existence du Covid-19 en mars 2020, je me suis tout de suite protégée parce que j’habite avec mes parents qui sont âgés. Tous les jours, je voyais le taux de mortalité grimper à Manaus [la plus grande ville de l’État d’Amazonas]. Autour de moi, certains continuaient à faire la fête. Il faut dire que le gouverneur, qui est un proche de Jair Bolsonaro, minimisait la gravité de l’épidémie donc ça n’encourageait pas les habitants à se protéger.

J’ai été contaminée dès le mois de mars. Je pense que mon petit ami, agent de sécurité dans un hôpital, m’a transmis le virus. J’ai essayé d’aller me faire soigner à l’hôpital, mais les services étaient déjà débordés. Alors je suis restée chez moi. J’ai vécu dix-huit jours de torture. Je n’arrêtais pas de tousser, j’avais des douleurs à la poitrine, j’ai perdu le goût, l’odorat, et j’étais épuisée. Beaucoup d’habitants sont morts chez eux, faute de soins. Même dans certains l’hôpitaux, certains sont morts avant d’être pris en charge. Les malades étaient soignés à côté des personnes mortes du virus. Les corps étaient enveloppés dans des sacs mortuaires et posés sur des civières en attendant d’être emmenés par les pompes funèbres.

L’arrivée du variant P1 a aggravé la situation, surtout pour les jeunes. Au mois de janvier, j’ai perdu quinze amis. Ils avaient tous entre vingt et quarante ans. À cause de la hausse du nombre de morts, ils n’ont pas eu de tombe individuelle et ont été enterrés dans une sépulture collective. Je n’ai pas pu leur dire au revoir. Aujourd’hui, la situation est toujours dramatique, et les hôpitaux manquent d’oxygène. Un marché noir s’est même développé, où des bouteilles d’oxygène se revendent jusqu’à 5 000 réaux (environ 700 euros). À l’hôpital, les médecins sont contraints de choisir qui va mourir et qui va vivre.”

Monica, 53 ans, kiné dans une favela de Rio :
“Beaucoup de familles n’ont plus rien”

“Je travaille à Complexo do Alemão [au nord de Rio de Janeiro] depuis quinze ans. La vie dans les favelas a toujours été violente et difficile, mais la souffrance a décuplé avec la pandémie. J’entends encore plus d’échanges de tirs qu’avant. Le respect du confinement est impossible : les habitants vivent parfois à dix dans des espaces minuscules. Les familles vivent essentiellement du système D. L’État est absent, beaucoup n’ont plus rien et ne survivent que grâce à la solidarité. Il y en a qui partagent leur repas avec leurs voisins, d’autres qui apportent des paniers alimentaires. En ce moment, beaucoup de personnes meurent de faim dans les favelas.

J’ai créé le seul centre médical de la favela et le seul centre du Brésil gratuit pour les personnes handicapées. Je ne vis que grâce aux dons. Depuis un an, je reçois beaucoup de patients guéris du Covid-19 qui présentent de lourdes séquelles. Au début, j’avais surtout des patients âgés de cinquante à soixante ans, mais aujourd’hui il y a beaucoup plus de jeunes. Ils ont du mal à marcher et à respirer. J’ai eu le cas d’une femme enceinte qui a été intubée pendant deux mois. Elle est en état de choc et n’arrive plus à coordonner ses gestes.

Je me sens souvent impuissante, épuisée. L’autre jour, j’ai reçu l’appel d’un homme qui avait été refusé dans trois services d’urgence, faute de place. Il a fini par être accepté dans un hôpital, mais il est mort là-bas, car son état s’était trop aggravé. Son épouse est aussi morte après avoir attendu cinq jours dans les couloirs. Ces situations me révoltent et je n’en vois pas le bout.”

Eliane, 35 ans, membre de la fédération
des peuples autochtones à Várzea Grande :
“J’ai eu peur que mon peuple disparaisse”

“Je fais partie du peuple bakairi, un des 43 peuples autochtones du Mato Grosso [centre-ouest du pays]. Je vis à Várzea Grande pour mon travail et le reste du temps, je reste dans mon village dans le Cerrado [une région de savane] avec ma famille. Là-bas, ma communauté est très isolée des services sociaux et de santé. Le premier hôpital est à trois heures de voiture, mais personne n’a de voiture. Il y a un poste médical dans le village, mais il n’est ouvert qu’une semaine par mois. Quand j’ai appris l’existence du virus, j’ai eu peur que mon peuple disparaisse. Depuis que je suis petite, les anciens me racontent l’extermination des Indiens à cause des maladies venues de l’extérieur.

Le virus est devenu une menace de plus pour mon peuple, avec la déforestation, l’orpaillage ou l’exploitation illégale de nos terres. Au début, on s’est protégés avec des remèdes traditionnels, comme des bains ou du thé à base des plantes urucum et quinquina. Mais très vite, il y a eu des contaminations. L’État nous a envoyé une fois des masques et du gel, ensuite on a dû s’organiser seuls.

En un an, dans le Mato Grosso, beaucoup de chefs indiens sont morts, notamment dans la communauté xavante [un autre peuple amérindien du Brésil]. Le gouvernement a placé les peuples indiens comme prioritaires pour la vaccination, mais seulement ceux qui vivent dans les terres indigènes. Moi, je n’y ai pas eu droit, car je vis surtout en ville. C’est absurde. L’autre problème est la propagation de fausses informations sur le vaccin faite par des groupes évangélistes. Beaucoup d’Indiens refusent de se faire vacciner alors qu’ils sont vulnérables.” (…)

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Témoignages de soignant.e.s
(Julien Lecot – Libération)

À Manaus, une des villes brésiliennes les plus touchées par le Covid-19, en janvier 2021. (Tommaso Protti/Libération)

«Lors de la première vague, le plus jeune patient que j’ai eu en réanimation avait 45 ans. À l’heure où je vous parle, on a dix personnes intubées dans notre service. Six ont moins de 50 ans.» Depuis près d’un an, Rubens Gilson travaille comme physiothérapeute dans les unités de soins intensifs Covid de Rio Branco, dans le nord-ouest du Brésil. Pas encore trentenaire, il a dû mettre en pause ses études de médecine un an avant leur terme pour aider le personnel de santé, en manque de main-d’œuvre face à l’afflux de patients. «Cette deuxième vague est vraiment particulière. On était beaucoup mieux préparés, on avait appris à connaître le virus, et malgré tout on a encore une fois été débordés», lâche-t-il au téléphone, les bips incessants des appareils médicaux en fond sonore.

«Entre les deux vagues, les profils ont vraiment évolué, confirme Sergio Falcao, médecin de 37 ans travaillant en unité de soins intensifs dans plusieurs hôpitaux de l’Etat de Sao Paulo. Au début de la pandémie, la majorité de nos patients étaient très vieux, et avaient en général plus de 80 ans. Aujourd’hui ils sont beaucoup plus jeunes, la plupart ont entre 50 et 60 ans, et sont souvent en surpoids.» Depuis quelques mois, il assure aussi voir régulièrement arriver en réanimation des Brésiliens plus jeunes que lui, ce qui était presque impossible lors des premiers mois de l’épidémie : «Cette deuxième vague semble plus cruelle et plus aléatoire.»

Variant hors de contrôle

Quand a commencé cette «deuxième vague» au Brésil ? Difficile à dire, tant la première n’a jamais vraiment été maîtrisée, la faute à un déni au sommet de l’Etat et à l’absence presque totale de mesures de restrictions. Mais après une accalmie générale à l’automne, et un clair relâchement au moment des fêtes de fin d’année, le virus est reparti de plus belle début janvier. C’est d’abord Manaus, une des villes les plus touchées, qui s’est retrouvée en l’espace de quelques semaines à court de lits, de soignants et d’oxygène, frappée par un mystérieux variant qui semblait plus contagieux et plus agressif. (…)

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