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Brésil. La droite chrétienne : nouvel acteur et leader du néo-conservatisme (André Barrocal / Carta Capital/ Traduction Jean-Luc Pelletier)

Selon un livre publié récemment (1), le mouvement reproduit ce qui s’est passé aux États-Unis et a pris de l’importance en réaction à des tabous réactivés lorsque le Parti des Travailleurs (PT) était au pouvoir.

Jair Bolsonaro veut proposer quelqu’un de « radicalement évangélique » pour le Supremo Tribunal Fédéral (STF). Le député et pasteur Marco Feliciano (parti Pode São Paulo) prétend qu’il est le vice-président idéal pour l’élection de 2022. Le gouvernement attribue des facilités fiscales à des églises, par exemple exonérer les plus petites, d’avoir un CNPJ (2) et de déclarer les mouvements financiers quotidiens. Il s’agit de faits clairement en lien les uns avec les autres.

La droite chrétienne constitue la nouveauté dans ce qu’on peut désigner par « néo-conservatisme » politique dans le pays et c’est ce qui a catapulté Bolsonaro au pouvoir.

La droite chrétienne a pris de l’importance en réaction à des tabous réactivés, encore que timidement, lorsque le PT était au pouvoir, tels que l’avortement, le mariage gay et le combat contre l’homophobie. Les évangélistes voient ces sujets qu’ils résument par l’expression « idéologie du genre » inventée par le Vatican pendant les années 1990, comme une menace à l’existence de la famille.

Selon Marina Basso, « Ce qui différencie le néo-conservatisme des autres mouvements idéologiques conservateurs de droite est la position centrale qu’il attribue aux questions concernant la reproduction et la famille traditionnelle. »

Il est curieux, note l’auteure dont le livre est basé sur l’activité des députés du « Lobby de la Bible » pendant la législature 2015 – 2018, qu’il n’y ait pas de femme parmi les protagonistes politiques pro – famille. Pour elle, cela révèle « une tentative des hommes hétérosexuels pour rétablir leurs positions de pouvoir perdues à l’intérieur de la famille ».

L’avancée des évangélistes

L’augmentation du nombre des évangélistes dans le pays depuis le début de ce siècle a certainement renforcé la droite chrétienne. Ils étaient 15 % en 2000 selon l’IBGE (3). Ils sont montés à 22 % en 2010, lors du dernier recensement de la population. Ils atteignaient 29 % en 2016 selon Datafolha.(4) Au rythme de l’accroissement entre 1991 et 2010 ils seront 40 % en 2036 selon les calculs du statisticien de l’IBGE José Eustaquio Diniz Alves.

La progression de la droite chrétienne et des évangélistes constitue un énorme défi pour les progressistes qui se sont éloignés physiquement des plus pauvres pendant ces dernières années, vide qui fut occupé par les églises. « Les protestants, et surtout les pentecôtistes ont su s’adresser aux besoins subjectifs de la population pauvre » rapporte Carlos Siqueira, président du PSB (5) lors d’une interview à Carta Capital. Les déclarations et les idées de Bolsonaro s’ajustent à ces besoins subjectifs. Sa popularité parmi les évangélistes est plus importante que parmi les autres Brésiliens, respectivement 41 % et 33 % selon une enquête Datafolha du mois de juillet. Parmi les évangélistes, 61 % estiment que le gouvernement de l’ex capitaine sera excellent ou bon, au-dessus de la moyenne générale de 51 %.

Le président « qui pendant sa trajectoire [politique] a toujours milité pour les thématiques néo-conservatrices – militarisme interne, anticommunisme externe et fort activisme anti LGBT – se renforce politiquement à mesure qu’il assume dans son intégralité un programme néo-conservateur ». (Marina Basso). C’est cette idéologie religieuse que l’ex-capitaine adopta tardivement qui le hissa au pouvoir.

Pour l’auteure, la montée de la droite chrétienne au Brésil reproduit un scénario déjà vu aux États-Unis pendant les années 1940. Les luttes pour défendre les causes, c’est-à-dire les droits civils, des femmes, des noirs et des gays pendant la décennie 1960 provoquèrent une réaction des protestants américains qui aboutit à l’élection du président ultraconservateur Ronald Reagan en 1980.

Selon Marina Basso, Reagan comme Bolsonaro gagnèrent grâce à une coalition politique qui rassemblait non seulement la droite chrétienne mais aussi le néolibéralisme économique, le traitement exclusivement punitif de la criminalité et la défense d’Israël. Ce pays suscite peut-être plus d’intérêt chez les évangélistes brésiliens que le Pape, du fait de la croyance qu’avec l’unification d’Israël viendra la fin du monde.

Le point de départ du livre fut une thèse de doctorat à l’Université Fédérale de Rio de Janeiro (UFRJ) dans laquelle la chercheuse étudia les relations que le « Lobby de la Bible » entretenait avec le « Lobby de la balle » et avec les thématiques économiques. Elle constata que « néolibéralisme, punition et famille sont entrelacés ». Un entrelacement qui dont le lien est justement l’idée de famille.

« Pour les néo-conservateurs, le meilleur programme pour lutter contre la pauvreté est une famille stable. Le modèle d’État défendu par les néo-conservateurs est corporatif, sur le modèle de l’église, garant de la famille traditionnelle » écrit-elle. Si la famille ou le marché sont défaillants, le traitement proposé par les néo-conservateurs ne repose pas sur des politiques publiques mais sur le droit pénal : police et prison.

  1. «O novo conservadorismo brasileiro » (Le nouveau conservatisme brésilien) Marina Basso Lacerda Assistante à la Commission des Droits Humains de la Chambre des Députés, Docteure en sciences politiques
  2. CNPJ : (Cadastro Nacional de Pessoa Jurìdica) numéro administratif permettant d’identifier les entreprises brésiliennes.
  3. IBGE : Instituto Brasileiro de Geografia e Estatìstica
  4. Datafolha :  Institut de recherche privé du groupe de presse Folha.
  5. PSB : Parti Socialiste Brésilien.

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