- FRANCE AMERIQUE LATINE - https://www.franceameriquelatine.org -

Le Brésil de Lula à Bolsonaro : quand la peur a vaincu l’espoir (analyse de Fabio Luis Barbosa dos Santos / Contretemps)

La situation actuelle au Brésil est à la fois catastrophique sur le plan sociopolitique et désastreuse sur le plan sanitaire et épidémiologique. Depuis le 20 mai dernier, ce pays-continent de 210 millions d’habitant.e.s concentre plus de la moitié des décès de la Covid-19 de l’Amérique latine (avec plus de 20.000 morts). Ceci, tandis que le pouvoir fascisant et militariste de Jair Bolsonaro continue à rejeter ostensiblement tout plan de combat de la pandémie à l’échelle fédérale, tout en réaffirmant son orientation ultralibérale sur le plan économique et réactionnaire sur le plan politique.

Comment en est-on arrivé là, après – pourtant – quinze ans de gouvernement du Parti des Travailleurs ? Le chercheur Fabio Luis Barbosa dos Santos, professeur à l´Université Fédérale de São Paulo et auteur de « La peur a vaincu l’espoir. Le Brésil de Lula à Bolsonaro » (Syllepse, 2020), nous propose ici une lecture critique de l’histoire récente de son pays. Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et n’engagent pas notre association.

En 2002, la victoire de Lula à l’élection présidentielle brésilienne avait suscité un espoir de changement social en Amérique latine et au-delà. Né à la fin de la dictature militaire (1964-1985), le Parti des travailleurs (PT) s’est consolidé dans les années 1980 en prenant part à la lutte pour la démocratisation puis en menant la résistance au néolibéralisme au cours de la décennie suivante. Alors qu’il atteignait le pouvoir, le PT a commencé à adopter un discours et une pratique de conciliation de classe. Pendant une décennie caractérisée par une forte croissance économique, le parti a réussi à pacifier le pays et à remporter trois autres scrutins présidentiels. Pourtant, en 2016, le deuxième mandat de Rousseff a été écourté par un processus de destitution controversé et deux ans plus tard Lula a été emprisonné. Les attentes progressistes ont laissé place à une offensive réactionnaire encore inimaginable quelques années plus tôt.

Ce texte aborde cette réorientation de la politique brésilienne en lien avec le déplacement du centre gravité de la politique vers la droite qui s’observe à l’échelle internationale. Mon hypothèse principale est que nous assistons à une transformation du cadre qui sous-tend la reproduction du capital au Brésil. Ce changement peut être résumé par deux idées : il y a eu un glissement du « néolibéralisme inclusif » vers la dépossession sociale, et de la conciliation à la confrontation de classe.

Ce changement menace d’abord les institutions associées à la Constitution de 1988 (surnommée la « Constitution des citoyens »), considérée comme la pierre angulaire de la soi-disant Nouvelle République qui a succédé à 25 ans de dictature. Dans une perspective plus large, le Brésil avance vers ce que Christian Laval a appelé un « nouveau néolibéralisme », dans lequel les contradictions entre capitalisme et démocratie sont aggravées. Le nouveau néolibéralisme impose la violence économique à travers un programme social et économique antipopulaire ainsi que la violence politique, car il a abandonné son contenu démocratique libéral (Laval : 2018).

D´un point de vue politique, ce changement est mis en évidence par la déroute du PT (entre la destitution de Roussef en 2016 et l’arrestation de Lula en 2018) et l’élection de Bolsonaro. Je vais analyser ce processus en trois temps : la chute du PT ; l’élection de Bolsonaro et le projet du nouveau gouvernement. Je terminerai en mettant en évidence la logique perverse à l’œuvre dans la gestion de la pandémie par le président. (…)

(…) Lire la suite de l’article ici