Au Brésil, Whatsapp est un outil de propagande massive (Jean-Mathieu Albertini / INA-la revue des médias)

L’application de messagerie est au cœur de la machine bolsonariste. Instrument de mobilisation, Whatsapp permet à ses soutiens de divulguer à une très large audience des campagnes favorables au gouvernement, ou au contraire, d’attaquer férocement ses adversaires

Une partisane de Jair Bolsonaro lors d’une manifestation à Brasilia contre les restrictions liées à la crise sanitaire, en avril 2020.
© Crédits photo : Sergio Lima/AFP.

Sur le fond vert caractéristique de l’application Whatsapp, les messages se succèdent à un rythme frénétique. En moins de trente minutes, 500 messages défilent sur un seul des milliers de groupes de soutien au président brésilien Jair Bolsonaro. Ce 8 mars 2021, la sphère bolsonariste est en ébullition après l’annulation des condamnations de Lula par un juge de la Cour suprême, et beaucoup appellent à une intervention militaire. Au-delà des messages fulminants en lettres capitales, des « mèmes » (des images détournées ou créées qui se répandent massivement sur internet) divulguent les consignes stratégiques et enjoignent les membres du groupe à publier un maximum de contenus pro-Bolsonaro sur Whatsapp, « sous peine d’être défaits lors de la prochaine élection (…) Nous ne pouvons pas abandonner cette plate-forme. »

Si, en Inde, le parti de Narendra Modi (BJP, parti indien du peuple) avait déjà expérimenté l’application comme outil de propagande électorale en 2014, l’équipe de Jair Bolsonaro a été pionnière dans son utilisation massive pendant la présidentielle de 2018. Dans son livre La machine de la haine, la journaliste Patrícia Campos Mello, victime de nombreuses campagnes de diffamation et de menaces de mort suite à ses révélations sur l’utilisation de Whatsapp pendant la campagne victorieuse de Bolsonaro, souligne que l’un de ses fils, Carlos, a été visionnaire. « Tête pensante de la stratégie digitale de son père, il a incité à la création d’une infinité de groupes et en 2018, à lui seul, il envoyait du contenu à plus de 1500 groupes sur Whatsapp. » La présence sur les autres réseaux sociaux était également très importante, mais l’application de messagerie (qui appartient à Facebook) fut la pièce maîtresse du dispositif de campagne. Une grève importante de camionneurs la même année, à quelques mois des présidentielles, a servi de ballon d’essai. Après une mobilisation massive organisée via Whatsapp, de nombreux groupes ont été vampirisés et se sont transformés en formations soutenant Jair Bolsonaro.

Utilisation frauduleuse

« La grande intuition de Carlos Bolsonaro a été de percevoir que sur Whatsapp, il était possible de faire une campagne plus sale et d’être beaucoup plus agressif que sur d’autres réseaux sociaux », précise Pablo Ortellado, professeur à l’USP (Université de São Paulo). L’application de messagerie devient ainsi peu à peu un réseau social influant sur le débat public, mais continue d’être protégée comme une plate-forme de communication à caractère privé. Ses contenus échappent donc aux possibles modérations et il est presque impossible d’en déterminer l’origine, et donc, de responsabiliser leurs auteurs. En résumé, sur Whatsapp, tous les coups sont permis et l’application se prête particulièrement bien à la propagation de fausses nouvelles ou à des campagnes de diffamation violentes. Dans le podcast Retrato Narrado , João Guilherme Bastos dos Santos, coauteur d’une étude sur Whatsapp et la désinformation pendant ces élections, détaille une des particularités du réseau : « Whatsapp sert moins à convaincre qu’à faire augmenter le taux de rejet de ses adversaires. » L’outil parfait pour Jair Bolsonaro, l’agressif outsider de la campagne, qui s’est présenté comme un candidat antisystème. À l’inverse, ses opposants, notamment à gauche, n’ont pas perçu cette évolution. Moins bien implantés, ils n’ont jamais réussi à combler leur retard sur ce terrain largement dominé par les bolsonaristes.

Pour amplifier leur impact durant la campagne de 2018, des messages auraient été envoyés massivement par des entreprises spécialisées. Whatsapp n’offre pas de service de micro-ciblage comme Facebook, mais ces entreprises peuvent utiliser des données personnelles pour adapter la propagande suivant la région ou le quartier par exemple. Des entrepreneurs soutenant Jair Bolsonaro auraient financé l’opération, contrevenant ainsi à la législation électorale brésilienne. Cette utilisation frauduleuse a été dénoncée à la veille des élections, notamment par la journaliste Patricia Campos Mello, et la direction de Whatsapp a, par la suite, reconnu l’envoi massif de messages par des systèmes automatisés durant la campagne. Si une action est en cours au TSE (Tribunal supérieur électoral), les investigations avancent à pas de tortue malgré les nombreux éléments disponibles et, pour le moment, l’impunité règne. Une enquête sur les « fake news » a conduit en 2020 à l’arrestation de certains alliés de Bolsonaro, mais plutôt du fait de leurs activités sur YouTube ou Facebook. Sur Whatsapp, où il est plus difficile d’identifier l’émetteur, la lutte contre les fausses informations est encore balbutiante. Depuis la victoire, l’application reste au cœur de la machine bolsonariste. (…)

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