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Au Chili, la contestation reprend le “torero” par les cornes (Justine Fontaine/ Libération)

Adapté de l’unique roman de l’icône queer et communiste Pedro Lemebel, «Tengo miedo, torero» connaît un  succès foudroyant qui résonne avec les mouvements sociaux d’octobre 2019.

Alfredo Castro (à dr.) en travesti amoureux du jeune guérillero Carlos (Leonardo Ortizgris). Photo DR

Pour le marché du cinéma chilien, 2020 restera l’année des guérilleros. D’abord, Pacto de Fuga, un film sur l’évasion d’une prison de Santiago en 1990, organisée par plusieurs détenus d’extrême gauche, a fait un carton en salles. Ensuite, un documentaire sur un militant du même mouvement s’est très bien vendu en ligne. Et enfin, Tengo Miedo Torero (Je tremble, ô matador dans sa version française), histoire d’amour entre un travesti vieillissant et un guérillero qui prépare un attentat contre Pinochet, en 1986, a battu des records de ventes depuis sa sortie en streaming le 12 septembre.

«Marginaux»

Le film, adapté de l’unique roman de l’écrivain et artiste Pedro Lemebel (1952-2015), était très attendu. Car Lemebel est une icône queer au Chili, admiré aussi par les féministes et la gauche contestataire, et le livre, publié en 2001, avait été un succès en librairies. Le long métrage devait sortir en salles à la fin de l’année au Chili. Pourtant, «quand la bande-annonce est sortie, nous nous sommes rendu compte que l’attente était encore plus forte que ce qu’on pensait», explique Florencia Larrea, de Forastero Films, qui l’a produit avec Zapik Films. Avant que l’engouement ne retombe, et «comme les cinémas sont fermés [depuis mars, ndlr], nous avons proposé de lancer le film par une grande soirée en ligne», poursuit Alfredo Troncoso, de Macondo, le distributeur. Les préventes pour la première s’arrachent en moins d’une heure, puis les compteurs continuent de grimper, jusqu’à 60 000 entrées vendues au 21 septembre. Les producteurs estiment que le nombre total de spectateurs est trois fois supérieur, car beaucoup de gens ont vu le film avec des proches. Des chiffres rares au Chili. «Le cinéma chilien a connu récemment de grands succès dans les festivals, mais en général il est mieux vu à l’étranger qu’ici», avance Rodrigo Sepúlveda, le réalisateur, en référence à l’oscar attribué à Une femme fantastique (Sebastián Lelio, 2017), ou aux prix remportés dans les festivals par plusieurs films de Pablo Larraín (No, Tony Manero, Post Mortem…).

Rodrigo Sepúlveda explique le succès de son film notamment par «l’interprétation géniale d’Alfredo Castro», comédien incontournable au Chili, et qui incarne donc un travesti amoureux d’un étudiant engagé dans la lutte armée contre la dictature de Pinochet (1973-1990). «C’est l’histoire de deux êtres marginaux, l’un vivant dans la clandestinité politique, l’autre dans la clandestinité sexuelle», souligne le réalisateur, car jusqu’en 1999, au Chili, la sodomie était passible de prison. Mais l’engouement autour du film s’explique aussi par la popularité de Pedro Lemebel, décuplée par l’essor des mouvements féministe et LGBT + au Chili ces dernières années.

Talons Hauts

Communiste, mais jamais accepté par le parti en raison de son homosexualité, il s’est fait connaître par ses performances, dans le collectif Las Yeguas del Apocalipsis, «les Juments de l’Apocalypse», dans les années 80. En talons hauts, et portant des messages contestataires, il s’invite à des remises de prix ou des réunions publiques. «Il est le premier au Chili à installer la diversité sexuelle dans le débat public, juge Sepúlveda. Il est devenu emblématique pour ses écrits mais aussi pour s’être opposé à la dictature avec son corps. Et il met mal à l’aise l’establishment, de droite comme de gauche.» (…)

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