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Cinéma guatémaltèque: La Llorona (film de Jayro Bustamante / articles de Jean-Jacques Reboux – Double Marge et Michèle Levieux – L’Humanité)

Selon la légende, la Llorona est une pleureuse, un fantôme qui cherche ses enfants. Aujourd’hui, elle pleure ceux qui sont morts durant le génocide des indiens mayas. Le général, responsable du massacre, acquitté, est hanté par une Llorona. Serait-ce Alma, la nouvelle domestique ? Est-elle venue punir celui que la justice n’a pas condamné ?

Seuls les coupables l’entendront pleurer (Jean Jacques Reboux (Double Marge)

La Llorona (pleureuse, en espagnol), l’une des plus anciennes légendes d’Amérique latine, très vive au Mexique, évoque le chagrin, le désespoir, le deuil d’une femme abandonnée par son mari, qui met au monde deux fils conçus hors des liens du mariage. Prise au piège du retour soudain du mari, afin de rester une épouse respectable, elle prend la décision monstrueuse de noyer ses enfants. Le remords la pousse au suicide. Commence alors une terrible expiation post-mortem. Pour la punir, Dieu la condamne à errer dans le vaste monde comme une âme en peine, pleurant ses fils. Ses sanglots vont terrifier ceux qui les entendent et ont quelque chose à se reprocher. Voilà pour l’exergue sur l’affiche du film : Seuls les coupables l’entendront pleurer.

La Llorona est devenue une chanson très populaire, dont l’interprétation la plus vibrante hante le film Frida, par la voix de Chavela Vargas, que son ami Almodovar appelait la « Piaf mexicaine » et qui fut l’amante de Frida Kahlo. On l’écoutera à la fin de La Llorona, accompagnant l’un des plus émouvants génériques vu (et entendu) depuis longtemps au cinéma.

De 1933 à 2004, six films mexicains se sont inspirés de La Llorona (nommée « dame blanche » dans un 7e, américain). Jayro Bustamante, cinéaste guatémaltèque né en 1977, recontextualise la légende dans une période dramatique de son pays : les années 1981-1983, point culminant dans l’horreur d’une interminable guerre civile qui durera 36 ans. On se souvient que l’attribution en 1992 du prix Nobel de la Paix à la militante Rigoberta Menchú et à cinq de ses consœurs contribua à braquer les projecteurs sur les exactions d’un régime beaucoup moins connu en Europe, mais tout aussi terrifiant, que les sinistres dictatures sud-américaines (250 000 personnes assassinées, plus de 40 000 disparitions, plus de 100 000 déplacées). Arrivé au pouvoir en 1981 par un coup d’État (et renversé en 1983 par un autre), Efraín Ríos Mott ne resta au pouvoir que dix-huit mois, parmi les plus sombres du Guatemala. Devenu protestant, le dictateur fit payer le prix fort aux catholiques, à qui il reprochait d’être trop proches des Mayas-Ixiles, qui subirent une répression féroce (chaque mois pendant cette période, 3 000 personnes ont été assassinées ou portées disparues).

Voilà pour le contexte historique du film de Bustamante, troisième volet du tryptique où il dénonce les violences faites aux trois groupes les plus discriminés du Guatemala : les Indiens, les homosexuels, les communistes (nom donné aux défenseurs des droits de l’Homme). Ixcanul (2014) se déroule au sein d’une communauté maya cakchiquel. Tremblements (2019) évoque la mise au ban d’un père de famille homosexuel (dans un pays où l’homosexualité, si elle n’est pas passible de prison, est fortement stigmatisée). La Llorona évoque ces « communistes » qui vont s’opposer à une décision inique de la justice guatémaltèque : l’acquittement d’un général accusé de génocide, qui pourrait être Efraín Ríos Mott, jugé en 2003, mais porte ici le nom d’Enrique Monteverde, général tortionnaire condamné pour crimes contre l’humanité, avant qu’un jugement de la Cour constitutionnelle ne le fasse acquitter pour vice de procédure. Tout comme le fut Efraín Ríos Mott, décoré par le Congrès US après avoir été un exécutant zélé de la CIA, et qui mourut dans son lit en 2018. Ce qui ne sera pas le cas du général Monteverde du film – on ne vous dira pas quel sort lui est réservé. (…)

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Jayro Bustamante : « Les Indiens n’ont jamais eu droit à la parole, ni à l’image » (Michèle Levieux / L’Humanité)

Jayro Bustamante évoque ses terreurs d’enfance liées à guerre civile qui a ravagé le Guatemala. Il rend visible un génocide effacé de l’histoire officielle. Et réaffirme sa volonté de créer dans son pays une industrie du 7éme art viable. Entretien.

Avec Ixcanul, son premier long métrage, ours d’argent à la Berlinale en 2015, le jeune cinéaste guatémaltèque a fait l’effet d’une bombe. Venant d’un pays sans histoire du cinéma, son film, accompagné de ses deux magnifiques actrices indiennes, aborde l’existence de la jeune María, vivant dans une plantation de café située sur les flancs d’un volcan. Son deuxième long métrage, Tremblements, film urbain cette fois, décrit de manière implacable les ravages des Églises évangélistes dans la société guatémaltèque, particulièrement en ce qui concerne l’homosexualité. Avec la Llorona, Jayro Bustamante fait référence à ses terreurs fantomatiques d’enfant pour évoquer et dénoncer une terreur bien réelle, celle de la guerre civile que son pays a connue pendant presque quarante ans, de 1960 aux accords de paix signés en 1996, dont l’histoire n’a jamais été ni revisitée, ni analysée, encore moins assumée.

Aujourd’hui, il pose la question de savoir comment un pays peut évoluer ainsi sans éviter les mêmes erreurs, la corruption des politiques face à la pauvreté d’une ­population en majorité indienne et l’analphabétisme. Avec cette trilogie cinématographique et emblématique, Jayro Bustamante s’affirme comme un très grand cinéaste, construisant une œuvre de la conscience. En mettant en lumière les réalités d’un pays jusqu’à présent sans image. Rencontre avec Jayro, qui vit entre Paris et Ciudad de Guatemala. (…)

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