🇨🇴 En Colombie, un repenti fait trembler l’État profond (Laurence Mazure / Le Matin)


La relation entre militaires et paramilitaires, auteurs de nombreux massacres, s’est nouée au plus haut niveau en Colombie, témoigne Salvatore Mancuso. Des personnalités en place sont concernées.

L’image de Salvatore Mancuso est projetée sur un écran, lors d’une cérémonie sur un site utilisé par les milices paramilitaires dans les années 2000 pour faire disparaître leurs victimes, à Juan Frio, municipalité de Villa del Rosario, en Colombie, le 9 mai 2023. Schneyder Mendoza / AFP

« L’armée et la police nous ont enseigné le maniement des armes au polygone de tir, le renseignement, ils nous ont formés. Moi, en fait, j’ai été recruté par l’armée (…) j’avais une carte de militaire, délivrée par la 11ème brigade, une autre, de la police civique, dont je portais l’uniforme. » Ce 10 mai, à Bogotá, face aux magistrat·es de la JEP, Justice spéciale de paix, mise en place par les Accords de 2016, l’ex-chef paramilitaire Salvatore Mancuso aborde la première de ses audiences.

Il a quatre jours pour convaincre cette instance de le prendre sous sa juridiction, afin d’obtenir protection et réductions de peines, moyennant des informations nouvelles sur son rôle-clé dans la collaboration systémique entre la force publique (armée, police, services de renseignements) et les groupes paramilitaires, de 1989 à 2004. S’ensuit un marathon de près de trente heures d’audiences, via internet, depuis les États-Unis, Mancuso y ayant été extradé en mai 2008 pour trafic de drogue. La JEP devra évaluer la valeur des éléments nouveaux.

L’ancien numéro 2 des Autodéfenses unies de Colombie (AUC, paramilitaires d’extrême droite) décrit une situation où la collusion entre l’État et les milices d’extrême droite s’est organisée à la demande des plus hauts gradés des forces armées, de la police, des directeurs du Département administratif de la sécurité (DAS, aujourd’hui démantelé), ainsi que de la classe politique régionale et nationale, et des grandes entreprises colombiennes.

Offrir un paravent légal

« La charnière », où se joue cette collaboration et où Mancuso a un rôle-clé, ce sont les Convivirs, des compagnies de sécurité privées créées en 1994 par le président libéral Cesar Gaviria dans les zones rurales où frappent les guérillas. Ces façades légales vont accueillir les paramilitaires des ACCU, Autodéfenses paysannes de Córdoba et Uraba, puis à partir de 1997, des AUC, jusque-là hors-la-loi.

« Tout de suite, les Convivirs ont fait le lien entre la légalité et l’illégalité, elles établissent le contact avec tous les commandants (paramilitaires) du nord du pays. Au début, elles exécutent toutes leurs opérations conjointement avec les militaires et la police (…). Rapidement les AUC ont pu mener ainsi leurs actions dans la plus grande légalité. »

Elles imposent ainsi leur contrôle de la vie politique et sociale, pour « refonder » le pays, avec une partie de la classe politique colombienne, lors de la réunion illégale de Ralito en 2001. Dès mars 2002, « les AUC ont interféré directement en soutenant les candidats présidentiels Horacio Serpa, Andrés Pastrana et Álvaro Uribe » – issus du Parti libéral, du Parti conservateur, et de ce qui deviendra le Centre démocratique, soit l’essentiel du spectre politique de l’époque.

L’armée désigne les cibles

Sous prétexte de lutte « antisubversive », les « actions conjointes » menées avec la force publique déferlent sur le pays : nettoyage social à coups de massacres, déplacements forcés, disparitions de cadavres à la demande des forces armées, y compris 200 victimes enterrées de l’autre côté de la frontière vénézuélienne, assassinats ciblés de syndicalistes, de défenseurs de droits humains.

Les hauts gradés envoient des listes entières de personnes à exécuter aux services de renseignement DAS, qui les remettent aux Convivirs/AUC. Parmi les noms, ceux de l’actuel président Gustavo Petro, son ministre des Affaires étrangères, Alvaro Leyva, le défenseur des droits humains et représentant de la Colombie aux Nations unies de Genève, Gustavo Gallón, ainsi que les membres d’organisations de droits humains colombiennes. S’ils sont toujours en vie, c’est parce que l’impact de l’assassinat de l’humoriste et militant Jaime Garzón en août 1999 a été jugé trop contreproductif par les paramilitaires.

Le DAS, ses directeurs nationaux et régionaux, vont assurer l’impunité, main dans la main avec le parquet colombien pour effacer les casiers judiciaires des paramilitaires et suspendre les enquêtes. (…)

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Voir également :
En Colombie, les sinistres aveux de l’ancien chef paramilitaire Salvatore Mancuso (Marie Delcas / Le Monde / article réservé aux abonné.e.s)


Leer algunos artículos en español :
Los hornos del horror en Colombia (Editorial / El País)
Salvatore Mancuso: “En Venezuela hay por lo menos 200 personas desaparecidas por el Bloque que comandé” (Catalina Oquendo / El País)
Salvatore Mancuso: “Nos entregaban listados y entonces golpeábamos a las casas y matábamos a quienes señalaban de guerrilleros” (Catalina Oquendo / El País)