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Crise au Venezuela : quel avenir pour le chavisme ?

Le point de vue de Jean-Jacques Kourliandsky

Depuis début avril, des manifestations contre le pouvoir se succèdent au Venezuela. Alors qu’elles ont déjà été marquées par plusieurs morts, une marche pacifique a été organisée dimanche. Le point de vue de Jean-Jacques Kourliandsky, chercheur à l’IRIS.

Comment expliquer que l’opposition au président Nicolás Maduro ait autant grandi ? Cette crise politique est-elle uniquement due à la situation économique dégradée du pays ?

Depuis l’arrivé au pouvoir d’Hugo Chávez le 1er janvier 1999, il y a toujours eu au Venezuela un refus frontal de la part de l’opposition d’accepter l’alternance. Il faut se rappeler qu’il y a eu une tentative de coup d’État armé en 2002. Cette opposition politique, qui représente environ 40% des électeurs, est restée mobilisée de 1999 à aujourd’hui. Mais aux élections parlementaires de décembre 2015, l’opposition a dépassé le seuil des 40% et obtenu 70% des suffrages. La crise est passée par là.

Depuis quatre ans, une crise économique grave touche le pays. Les Vénézuéliens peinent à s’alimenter et à se soigner à cause d’importantes pénuries. Les manifestations de ces dernières semaines étaient certes politiques mais il y a eu aussi des pillages de magasins – huit personnes sont notamment mortes électrocutées en forçant les portes d’une boulangerie. On peut donc parler, à côté des cortèges politiques, d’émeutes de la faim. Ainsi, une partie des opposants au pouvoir sont des personnes qui auparavant soutenaient Maduro. Aujourd’hui en grande difficulté, elles se sont éloignées du gouvernement. Ces anciens soutiens du président – sans rompre ouvertement – parfois ne vont plus voter, ce qui confère un poids relatif plus important à l’opposition. Cette dernière est donc composée, d’une part, d’un socle politique datant de 1999, auquel sont venus s’ajouter, d’autre part, les déçus et les victimes des pénuries.

Dans un tel contexte de division, comment la situation peut-elle se débloquer ? Peut-on envisager que Nicolás Maduro ne parvienne pas au bout de son mandat, qui court normalement jusqu’en 2019 ?

Il semble peu vraisemblable que Nicolás Maduro ne termine pas son mandat, dans la mesure où il s’appuie un élément de force important, l’armée. En 2002, une partie des forces armées avait pris part au coup d’État. Hugo Chávez avait procédé à une épuration des forces armées et les avait aussi étroitement associées à la gestion du pouvoir. Aujourd’hui, au sein du gouvernement Maduro, plusieurs ministres sont des militaires. Ces derniers sont également présents dans l’appareil administratif de l’État, ainsi que dans la gestion de l’économie d’entreprises publiques. Il y a donc une coresponsabilité de l’armée dans le gouvernement du pays. Bien dotée en matériel et cogérant les affaires nationales, l’armée reste relativement préservée en cette période de pénurie et fidèle au président.

Le président Maduro a donc les moyens de tenir bon pour les prochains dix-huit mois. Cela dit, l’opposition reste mobilisée, bien qu’étant divisée en deux franges. Une partie souhaite en effet arriver au pouvoir par la voie constitutionnelle. Elle est donc prête à respecter les délais électoraux, en demandant toutefois au gouvernement de jouer le jeu. Une autre partie de l’opposition, très radicale, pense que le président ne va pas respecter ses engagements. Elle estime donc nécessaire de le faire tomber, comme cela avait été tenté il y a deux ans lorsque de graves affrontements avaient fait une quarantaine de morts.

Toutefois, des éléments non violents existent dans l’opposition et dans le camp du gouvernement. Les approches différentes de Primero Justicia et Voluntad Popular reflètent ces divergences au sein de l’opposition. La procureure générale de l’État vénézuélien – Luisa Ortega Díaz, pourtant nommée par Hugo Chavez -, a appelé au respect du droit de manifester inscrit dans la Constitution. Il y a quelques semaines, elle avait sanctionné la tentative de mainmise du Tribunal supérieur de l’État sur le pouvoir législatif, mesure annulée quelques jours plus tard à la demande du président. Un membre de la Commission nationale électorale – nommé par les autorités exécutives – a lancé un appel au respect du calendrier et à la tenue des élections régionales du 16 décembre 2016, qui n’avaient pas pu avoir lieu à cause d’obstacles administratifs. Nicolás Maduro a entendu la critique et signalé que cette consultation pourrait être assez vite organisée.

Par ailleurs, la pression extérieure pousse à un compromis, souhaité par les voisins du Venezuela. Ces derniers sont effectivement de plus en plus préoccupés par l’instabilité du pays, comme le montre la déclaration des 11 chefs d’États d’Amérique latine la semaine dernière. Cette déclaration a été très mal reçue par le président Maduro. Mais on ne peut pas imaginer que le Venezuela, vivant de ressources pétrolières exportées, puisse se replier sur lui-même – comme l’Albanie d’il y a 50 ans. Le pays est dépendant de l’international. Il critique les pressions extérieures, attribuées aux États-Unis, mais Nicolás Maduro est obligé d’en tenir compte. En particulier, des efforts de médiation sont proposés par l’Union des nations sud-américaines (UNASUR) et le Vatican. Le pape doit visiter la Colombie en septembre, ce qui pourrait relancer une médiation vaticane. Le ministre des Affaires étrangères du pape François, ancien nonce apostolique à Caracas, entretient de très bonnes relations avec le pays. Le président vénézuélien a d’ailleurs relancé la possibilité de médiation le 23 avril.

Ces éléments permettent donc de penser qu’un compromis permettrait de parvenir aux prochaines élections présidentielles. Élections qui seront vraisemblablement perdues par le pouvoir, ce qui laissera beaucoup de marge de négociations.

Cette crise est-elle révélatrice de l’échec et de la fin du chavisme dans le pays ?

Il est difficile de parler de la fin du chavisme, étant donné que toutes les politiques sociales datant de l’époque d’Hugo Chávez ont bénéficié à des millions de vénézuéliens, qui lui sont donc reconnaissants. Ils le sont beaucoup moins en revanche envers le gouvernement de Nicolás Maduro, auquel on fait porter le chapeau des difficultés actuelles.

Cependant, si le gouvernement n’est plus en mesure de financer ces politiques sociales, il en subira un contre coup politique et électoral. Avec cette contestation, c’est in fine la viabilité du modèle chaviste « socialiste-extractiviste », c’est-à-dire reposant sur les revenus tirés des matières premières, qui est posée. En effet, ce modèle étant nécessairement victime des aléas des cours du pétrole, il ne peut être ni stable, ni pérenne.

Article publié originellement sur le site de l’Institut des Relations Internationales et Stratégiques

N.D.L.R.: Pour mieux comprendre la crise politique vénézuélienne, nous vous invitons à lire l’analyse de M. Renaud Lambert sur Le Monde Diplomatique de décembre 2016.