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Crises sanitaire et politique au Brésil: «Le pouvoir est dans une logique de fuite en avant» (interview de Maud Chirio par Arnaud Jouve/ RFI)

Le Brésil, depuis l’élection de Jair Bolsonaro en janvier 2019, traverse une nouvelle période politique de son histoire. Ce pays, qui fut considéré autrefois comme le « champion des émergents », est confronté, au-delà de la crise sanitaire sévère du coronavirus, à des changements profonds de son modèle démocratique. Une société en mutation que commente l’historienne Maud Chirio.

REUTERS/Adriano Machado

RFI : Maud Chirio, comment se porte le Brésil d’aujourd’hui avec la nouvelle équipe dirigeante ?

Maud Chirio : Le Brésil va mal. Le pouvoir d’extrême droite est dans une logique de fuite en avant à la fois dans la gestion – ou dans la non gestion – de l’épidémie et dans la dégradation du fonctionnement des institutions. Le président Jair Bolsonaro se retrouve dans une situation d’aggravation des crises institutionnelles qui précédaient la pandémie, tant à l’égard des assemblées (Congrès), de la Cour suprême, que d’un certain nombre de membres de son équipe gouvernementale ainsi que des autorités locales, gouverneurs et maires. Ces tensions, qui sont en fait apparues dès six mois après son investiture, l’ont conduit à être dans une situation où il se repose sur des piliers plus restreints qu’auparavant, à savoir une base populaire réduite, extrêmement fanatisée, toujours fidèle et une partie des états-majors militaires. Cette réduction de la base sociale et politique de l’exécutif mène à une fragilisation toujours plus grande du fonctionnement des institutions, voire à l’hypothèse évoquée depuis très longtemps, mais de plus en plus crédible, d’une rupture dans le fonctionnement des institutions. Car depuis quelques semaines, les menaces qui sont proférées, non seulement de la part du président mais – et c’est peut-être plus important – de la part des autorités militaires qui l’entourent à l’égard d’autres institutions et en particulier de la Cour suprême, sont désormais explicites. Ces menaces, qui profilent explicitement un changement institutionnel, sont entourées d’une façade de légalité mais sont absolument illégales et pourraient faire rentrer de plein pied le Brésil dans une logique franchement autoritaire.

Donc, d’un point de vue institutionnel et politique, la situation est extrêmement grave, je dirais même gravissime. Du point de vue de d’état de l’opinion, il existe une désagrégation de l’appui au président mais néanmoins environ 20% à 25% de l’électorat bolsonariste, qui est pour une partie d’entre eux dans une logique de résistance, voire d’acceptation d’actes violents, lui demeure fidèle.

Quel constat faites-vous sur le plan économique ?

La situation économique était dégradée et extrêmement fragile depuis plusieurs années, même s’il y avait quelques éléments qui pouvaient indiquer un retour de certains indicateurs dans le positif. À cela s’ajoute, quand bien même est-il très partiel, le confinement (dû à la pandémie de coronavirus) qui suscite un arrêt d’un très grand nombre d’activités économiques, d’autant plus que l’ensemble de l’Occident s’arrête. Le Brésil, comme tous les pays de la région et une bonne partie de l’Occident, voire du monde, est donc confronté à une dégradation extrêmement grande de ses indicateurs économiques. L’explosion du chômage jette dans l’absolue absence de ressources tout un tas de travailleurs qui sont en particulier des travailleurs informels et qui n’ont donc absolument aucun recours pour obtenir de quoi survivre. Le gouvernement, sous pression du Congrès, a mis en place une aide d’urgence qui est inégalement distribuée. C’est en partie pour cela que la popularité du gouvernement ne s’est pas davantage effondrée. Mais cette aide est supposée être temporaire, comme l’a répété de nombreuses fois l’exécutif. Toute une partie de la population est au bord de l’absence absolue de ressources pour se nourrir. On n’en est pas encore là mais on commence à s’approcher de cette limite. (…)

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