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Élections présidentielles brésiliennes : quels sont les enjeux principaux à la veille du second tour des élections ? (Interview de Christophe Ventura/IRIS)

Alors que le premier tour des élections présidentielles brésiliennes s’est déroulé le dimanche 7 octobre, quel bilan pouvons-nous établir tant sur les résultats que sur les candidats ? Alors que Jair Bolsonaro, représentant l’extrême droite, et Fernando Haddad, candidat du Parti des Travailleurs (PT) s’affronteront au second tour, que proposent ces deux candidats et de quels soutiens bénéficient-ils ? Enfin, sur fond de crises morale et politique, quels sont les principaux défis que devra relever le vainqueur de cette élection ? Le point de vue de Christophe Ventura, chercheur à l’IRIS. 

Quel bilan tirez-vous de ce premier tour des élections présidentielles ? Que disent les résultats du Brésil d’aujourd’hui ?

Les résultats du premier tour confirment un certain nombre de préoccupations que nous anticipions avant le vote, mais qui les accentuent. En effet, le score du 7 octobre vient confirmer une ascension et une performance tout à fait impressionnantes de la part de Jair Bolsonaro. Avec plus de 49 millions de voix obtenues (sur un corps électoral de 149 millions de personnes – et 20% d’abstention qui correspondent à près de 30 millions de voix), le candidat du Parti social libéral (PSL) établit un nouveau record. Il est en effet d’ores et déjà le candidat qui a obtenu le plus de votes au premier tour d’une présidentielle brésilienne.

Bolsonaro a ainsi obtenu 46% des voix et prend donc une option solide vers une victoire au deuxième tour. Il arrive premier dans 17 États (dont ceux de São Paulo ou de Rio de Janeiro, ainsi que dans le sud et le centre-ouest du pays continent) sur les 26 que compte le Brésil. C’est considérable ! Fernando Haddad et le Parti des travailleurs (PT) arrivent en tête dans neuf autres (notamment dans le Nordeste, fief du « lulisme »).

La cartographie nous apporte un premier renseignement : Bolsonaro a d’abord réalisé sa performance en aspirant l’électorat de la droite traditionnelle brésilienne, en particulier du Parti de la social-démocratie brésilienne (PSDB) et du Parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB).

Ces deux formations politiques étaient au cœur du gouvernement non élu sortant de Michel Temer. Leurs deux candidats, Geraldo Alkmin et Henrique Meirelles, peinent à eux deux à dépasser les 6% du vote. Jair Bolsonaro a siphonné cet électorat sur la base d’une offre politique de droite radicalisée. Ceci est un point important dans l’élection : Jair Bolsonaro est un produit de la crise démocratique démarrée le 31 août 2016 avec la destitution de Dilma Rousseff – et de la crise économique des cinq dernières années -, suivie par deux ans d’activité d’un gouvernement non élu. Cette séquence, à laquelle Bolsonaro a participé – il a voté la destitution – et qui a été largement initiée par le PMDB et le PSDB, échappe in fine aux deux formations. C’est cette séquence qui a engendré le phénomène Bolsonaro.

Une autre manière de comprendre le vote de Bolsonaro est de voir qu’il exprime une forme d’insurrection, de jacquerie électorale, en particulier des classes moyennes brésiliennes, mais aussi d’une partie des classes populaires qui aspirent à entrer dans ces classes moyennes ou qui avaient eu accès ces dernières années à une plus forte mobilité sociale (consommation, crédit, etc.). Cette jacquerie a ciblé tous les partis et personnages politiques sortants, à la fois de la droite traditionnelle au pouvoir, et du Parti des travailleurs (PT). Ici par exemple, l’élimination sèche de Dilma Rousseff à l’élection sénatoriale dans l’État du Minas Gerais – alors qu’elle arrivait en tête dans les sondages avant le vote – est emblématique d’un phénomène porteur au Brésil, qu’incarne et manie systématiquement Jair Bolsonaro : le ressentiment et la haine contre « la gauche » et plus particulièrement le « pétisme », assimilé chez lui et son électorat à la crise économique, la corruption, la mal gouvernance, les problèmes de violences et de délinquances, la promotion des droits des minorités.

C’est donc tout cela que Bolsonaro a réussi à agglomérer autour d’un discours contenant la convergence de trois conservatismes au service d’un projet libéral-autoritaire. Le premier conservatisme est celui qui est le plus traité par les médias, notamment en France. Il s’agit d’un conservatisme sociétal. Ainsi, Bolsonaro a réussi à lier autour de lui des forces allant des églises évangéliques – ces dernières encadreraient environ un tiers de l’électorat et articulent un agenda très conservateur sur les questions de mœurs et de famille, et ultralibéral (théologie de la prospérité) sur le plan économique – aux mouvements droitiers de la population urbaine et aisée du Brésil, ceux qui ont animé les rues du pays contre la corruption et le PT en 2015 notamment…

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