Haïti : le pouvoir entre massacres et impunité (Frédéric Thomas / Cetri / Libération)

[Tribune de Frédéric Thomas, chercheur au Centre Tricontinental – Cetri, publiée dans Libération le 24 novembre 2020.]

Une campagne internationale a été lancée pour rompre le silence sur le massacre de La Saline perpétré il y a deux ans. Elle appelle à un changement de politique de l’Europe face à la dérive autoritaire du régime en place.

Les 13 et 14 novembre 2018, était commis le massacre de La Saline. Deux ans plus tard, les Haïtiens réclament toujours justice, alors que la dérive autoritaire du pouvoir s’accélère. Une campagne internationale a été lancée pour rompre le silence sur cette situation.

Manifestation le 23 novembre 2018 à Port-au-Prince, dix jours après le massacre de La Saline. Photo A. M. Casares. Reuters

C’était il y a deux ans. Haïti était en effervescence. Au cours de l’été, le pays s’était soulevé. La colère contre la vie chère et celle contre la corruption s’étaient rejointes, au sein d’un mouvement social inédit, comme les Haïtiens n’en avaient peut-être plus connu depuis le renversement de la dictature de Duvalier en 1986. Des dizaines de milliers de personnes étaient dans les rues, demandant des comptes sur la somme de 1,5 milliard d’euros de l’accord Petrocaribe avec le Venezuela, destinée à des projets de développement, inexistants ou inachevés, surfacturés ou déjà à l’abandon, refusant la fatalité de la misère et de la dépossession.

Le 17 octobre 2018, une marée humaine avait manifesté dans Port-au-Prince et les diverses villes du pays. Une série de nouvelles mobilisations et de grèves était programmée un mois plus tard. Mais, le 13 novembre, à La Saline, un quartier populaire de la capitale connu pour sa tradition contestatrice, des gangs armés font irruption et sévissent plusieurs heures durant.

On comptera soixante-treize personnes assassinées, dont sept à coups de haches ou de machettes. L’identité de plusieurs d’entre elles n’a pu être confirmée ; les corps ayant été mutilés, certains décapités, brûlés et abandonnés dans une décharge publique à la merci des animaux. Onze femmes ont été violées. Dans au moins deux cas au cours de viols collectifs commis dans leurs maisons, devant leurs parents ou enfants.

La police, pourtant alertée, n’est pas intervenue. Les médias internationaux, plus habitués à regarder Haïti avec les lunettes de la catastrophe et de l’humanitaire, en ont à peine parlé. Les États-Unis, la France, l’Union européenne, les autres instances internationales ont «déploré» et «exhorté». Comme à son habitude, le président haïtien, Jovenel Moïse a répondu à ces déclarations dérisoires par des promesses tout aussi vaines.

Mais les acteurs haïtiens se sont mobilisés. Les ONG locales de droits humains ont publié des rapports sur le massacre, dont les principaux éléments ont été corroborés par les Nations unies. Au-delà de la responsabilité directe du policier Jimmy Chérisier, alias «Barbecue», c’est celle du pouvoir lui-même qui est mise en cause, à travers ses liens avec les gangs. Il est question d’«un massacre d’Etat».

Si la terreur perpétrée à La Saline n’a pas réussi à enrayer la dynamique des manifestations et de l’opposition au président Jovenel Moïse, de plus en plus contesté, elle a marqué un cap et le début de la stratégie du pourrissement. Le message semblait clair : le gouvernement ne reculerait pas et il était prêt à entraîner le pays dans une fuite en avant. En outre, il jouit d’une longueur d’avance sur la majorité du peuple : détenteur du pouvoir légal et courroie de transmission de Washington, il bénéficiait du soutien calculé ou résolu de la communauté internationale.

Les deux ans qui ont suivi lui ont donné raison. Au moins trois autres massacres se sont produits, les gangs armés se sont déployés, renforcés et même fédérés, l’insécurité a explosé. Les conditions de vie ont continué à se dégrader, et la dérive autoritaire du régime à s’affermir ; depuis janvier 2020, le pouvoir législatif est réduit à un tiers du Sénat, et le Président gouverne par décret. Le stock de regrets et d’exhortations des gouvernements étrangers n’est pas épuisé. (…)

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Voir également Haïti : Stop au silence et à la complicité internationale
(octobre 2020)
Quatre-vingt deux organisations (syndicats, ONG, associations, mouvements paysans, féministes, citoyens) haïtiennes, françaises, belges, canadiennes, espagnoles, allemandes et béninoises ainsi que trois cents citoyen.ne.sappellent à mettre fin au silence et à la complicité internationale vis-à-vis d’Haïti. France Amérique Latine est signataire de ce texte.