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La morale des soulèvements ? Classes moyennes, économie morale et révoltes populaires (Frédéric Thomas / CETRI)

L’onde de choc des soulèvements qui ont éclaté au cours de l’automne 2019 ne s’est pas épuisée. Ces révoltes appellent un renouvellement des analyses. C’est ce que propose ici Frédéric Thomas, chargé d’étude au CETRI – Centre tricontinental, à partir des cas chilien, équatorien et haïtien, en croisant les concepts d’économie morale et de classe moyenne, et en émettant quelques hypothèses.

« Je n’aime pas parler de « classe moyenne », car elle est pour moi inexistante en Haïti. Il n’y a pas les conditions économiques ici d’une classe moyenne. » (Vélina Élysée Charlier, l’une des figures de Nou pap dòmi en Haïti.)

La surprise, la radicalité et la simultanéité des soulèvements au cours de l’automne 2019, du Liban au Chili, en passant par Haïti et l’Algérie, ont frappé les esprits. Nombre d’articles ont tenté d’en éclairer les causes et les enjeux, les correspondances et les détonateurs locaux. Si une des caractéristiques communes de ces mouvements fut leur mixité en termes générationnel et de classes sociales, force est aussi de constater le rôle important joué par la jeunesse urbaine de « classe moyenne ». C’est cette place que nous voudrions discuter ici, en nous centrant sur les révoltes qui ont éclaté en Amérique latine.

Classes moyennes, classes fantômes ?

Le concept de « classes moyennes » s’avère méthodologiquement compliqué à manier, du fait de son hétérogénéité. Il se définit d’abord négativement, par ce qu’il n’est pas : ni riche, ni pauvre, dans cet entre-deux. Il détient par ailleurs une charge idéologique considérable, particulièrement à l’œuvre dans le discours dominant. Mais qu’en est-il de sa réalité en Amérique latine ?

La Banque mondiale notait, en 2013, que le continent était en train de se convertir en une « région de classe moyenne ». Six ans plus tard, sur base des derniers chiffres (2017), la Commission économique pour l’Amérique latine (Cepal, agence des Nations unies) estime que la classe moyenne – soit le large spectre de personnes dont les revenus se situent entre 1,8 et 10 fois le seuil de pauvreté – représente 41 % de la population. Dont plus de la moitié occupe la tranche basse. Et la Cepal de reconnaître que cette classe forme « une sorte de ‘zone grise’ de la structure sociale d’Amérique latine ».

Au-delà des questionnements méthodologiques, plusieurs remarques peuvent déjà être faites. En 2017, un peu plus de 30 % de la population du continent était sous le niveau de pauvreté, et près de 26 % disposait de bas revenus (moins de 1,8 fois le seuil de pauvreté). La frontière entre cette majorité (56 %) de la population et la tranche basse de la classe moyenne (21 % de la population) est poreuse3. Et ce d’autant plus qu’il y a fort à parier que les conditions sociales de cette dernière catégorie sont davantage comparables avec la population à bas revenus qu’avec le « haut » de la classe moyenne. (…)

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