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L’Amérique latine, centre de gravité des déplacements forcés (Christophe Ventura / Iris)

Venezuelans stop at a Colombian migration checkpoint while crossing the Simon Bolivar International Bridge near the Venezuelan border in Cucuta, Colombia, on Wednesday, March 27, 2019. The Venezuelan diaspora may swell to about 8 million by the end of next year, leaving its neighbors picking up the tab for the nation’s economic implosion. Photographer: Federico Rios/Bloomberg via Getty Images

Le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés a publié un rapport sur les déplacements de populations, où l’Amérique latine apparaît dans les principales zones de crise migratoire. Quelle est la situation actuelle dans cette région ? Quels sont les principaux pays touchés par ces phénomènes ? Éclairage par Christophe Ventura, directeur de recherche à l’IRIS. 

Le rapport annuel du Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés montre un nouveau record atteint en 2018, faisant état de 70,8 millions de déplacements forcés dans le monde. Alors que le focus est souvent placé en Méditerranée, qu’en est-il de l’Amérique latine ? Quelles sont les dynamiques migratoires avec quelles répercussions sur les équilibres économiques et politiques ?

Le pays qui détient le triste record mondial de déplacés forcés est un pays latino-américain : la Colombie, avec 8 millions de déplacés internes, devant la Syrie et la République démocratique du Congo. C’est un chiffre souvent méconnu, à relier au conflit armé colombien qui dans les faits, s’il est officiellement terminé avec les accords de paix de 2016, continue de produire ses nombreuses conséquences dans la société colombienne. Plusieurs pays d’Amérique latine connaissent ces phénomènes de déplacements forcés, de poussées migratoires et de mouvements de réfugiés du fait de conflits armés, de situations de crises économiques et politiques vives, de violences multiformes qui les projettent dans des situations critiques et de ruptures, parfois de quasi-guerres civiles de basse intensité larvées comme cela peut être le cas dans les pays centraméricains, le Mexique ou le Venezuela.

En Amérique latine, la Colombie, le Mexique, les pays d’Amérique centrale (Lel Salvador, le Guatemala – surtout lui -, le Honduras), Haïti, Cuba, le Venezuela (pays d’où provient le plus grand nombre de demandes d’asile en 2018 devant l’Afghanistan) constituent les pays les plus concernés par ces phénomènes.

Ces situations posent de nombreux défis aux États de la région en termes de ressources et de recherche de financements pour gérer l’urgence liée à ces situations de détresse. Sur le long terme, cela les interroge sur leurs modèles de développement économique, social et politique. En effet, à la racine de tous ces maux se trouvent des problèmes structurels non résolus :  pauvreté, inégalités, États vulnérables et faibles, violences, corruption, crime organisé inséré à des chaînes de trafics internationaux – notamment aux États-Unis qui constituent le premier marché de consommation de drogues au monde, etc.

D’un point de vue géopolitique, la question migratoire s’impose dans l’agenda politique et est l’un des déterminants importants de la relation entre les pays latino-américains et le grand voisin nord-américain, avec en particulier l’emblématique cas de la frontière mexicaine.

La crise vénézuélienne a généré près de 4 millions de réfugiés, majoritairement dans les pays limitrophes dont la Colombie, elle-même en proie à des conflits et des déplacements internes. Quel impact sur la situation du pays ?

La situation vénézuélienne est très préoccupante puisque le HCR estime que fin 2019, environ 5 millions de Vénézuéliens pourraient avoir quitté leur pays depuis le début de la crise (2013-2014). La majorité d’entre eux se trouve aujourd’hui en Colombie, au Pérou, au Chili et en Équateur. Ce n’est pas la première crise migratoire de ce type en Amérique latine, la plus grande qu’ait connue la région étant celle de la Colombie, qui a produit des millions de déplacés internes, mais aussi de migrants et de réfugiés. Le Venezuela a ainsi accueilli des millions de Colombiens pendant des années, qui y vivent d’ailleurs encore et dont beaucoup sont devenus Vénézuéliens pendant les années Chavez. Une fraction significative des migrants vénézuéliens d’aujourd’hui en fait partie.

La situation est d’autant plus compliquée que les pays latino-américains qui accueillent les migrants vénézuéliens font eux-mêmes face à de nombreuses difficultés économiques depuis quelques années. Il y a eu deux phases dans leur gestion des flux. Les premières années, les contingents de migrants vénézuéliens étaient constitués de populations hautement diplômées et compétentes du pays, relativement argentées (ingénieurs, techniciens, métiers de la santé, etc.). Ces populations ont été finalement une aubaine pour les pays récepteurs. La crise migratoire vénézuélienne a pris une autre tournure lorsque, au gré de l’évolution du conflit politique interne, de sa dureté et de sa polarisation, d’autres secteurs de la population vénézuélienne, plus populaires, ont à leur tour migré. Cette fois-ci, les pays récepteurs ont sonné l’alarme. Aujourd’hui, ils n’ont ni l’envie, ni les moyens financiers, ni les systèmes sociaux nécessaires pour soutenir cette pression migratoire. Ceci explique pourquoi les pays sud-américains, indépendamment de leur position politique vis-à-vis de la situation au Venezuela, ne veulent pas d’escalade ou d’intervention militaire, de manière à éviter une poussée migratoire encore plus intenable.

L’enjeu est particulièrement important pour la société colombienne qui, comme déjà évoqué, doit déjà gérer ses déplacés internes, phénomène en augmentation depuis 2015, ce qui est inouï alors qu’entre temps un accord de paix a été signé. Le problème est que la mise en place de cet accord reste en réalité très lacunaire – on estime qu’à peine 20% de l’accord a été mis en œuvre, tous les problèmes liés au conflit armé sont toujours présents : peu de financements pour les déplacés internes, de ressources pour reloger les gens, de projets de réintégration des populations – dont les membres des FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie) – dans la société, etc. Tout est en friche. Une bonne partie du territoire colombien est par conséquent toujours capté – et même réinvesti – par le crime organisé, les cartels et les paramilitaires. Ces forces obscures agissent dans le pays et occupent les territoires qui ont été abandonnés par les FARC, faisant régner leurs lois privées, souvent cruelles et violentes. La situation colombienne est ainsi très grave du point de vue humanitaire et fragilise les espoirs de retour à la stabilité d’un pays dont le potentiel de développement économique est frustré par cette insécurité structurelle. À cela s’ajoutent les fortes incertitudes qui pèsent sur l’avenir politique de l’accord de paix de 2016. La confiance est rompue entre le gouvernement et les FARC, chaque jour des assassinats de dirigeants sociaux et de militants politiques et des droits humains et environnementaux ont lieu dans le pays. Chaque jour, la survie de cet accord est menacée. La responsabilité du gouvernement de Ivan Duque – hostile aux équilibres obtenus au sein de l’accord – est directe.

Le Mexique a récemment changé de politique migratoire, annonçant un renforcement du contrôle aux frontières, suite aux pressions économiques de Washington. Plaque tournante de l’immigration latino-américaine, quelles marges de manœuvre a Mexico en matière de gestion des flux ?

Le Mexique est dans une situation politique, économique et juridique très compliquée, qu’il faut savoir mesurer, parce que ses marges de manœuvre sont assez étroites. D’abord, il faut rappeler quelques éléments importants : les flux migratoires illégaux centraméricains et mexicains vers les États-Unis aujourd’hui, si l’on s’en tient aux statistiques fournies par le nombre de personnes arrêtées à la frontière entre les États-Unis et le Mexique, sont à peu près les mêmes que dans les années 1970. Il n’y a pas du tout d’invasion : environ 500 000 personnes ont été arrêtées en 2018 (comme à cette époque donc) par les patrouilles et la police des frontières nord-américaines ; dans les années 1980-1990, elles étaient 3 fois plus nombreuses. Encore deux fois plus nombreuses au début des années 2000…

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