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L’Amérique latine: entre crise de la démocratie et guerre contre la démocratie (Janette Habel/ Les possibles/ Attac)

L’Amérique latine vit un basculement géopolitique. L’hégémonie américaine connaît un déclin relatif, tandis que la pénétration économique chinoise s’approfondit. La baisse des prix des matières premières a entraîné une crise économique réduisant la base sociale d’appui des gouvernements nationaux populaires. Le gouvernement de Donald Trump est ses alliées de la droite radicale latino-américaine ont mis à profit les scandales de corruption touchant certains responsables politiques issus de la vague de gauche des années 2000 pour les discréditer, s’emparer du pouvoir et passer à l’offensive en mettant une œuvre une contre-réforme réactionnaire sociale et sociétale.

L’analyse de Janette Habel, maître de conférences à l’Institut des hautes études d’Amérique latine, membre du Conseil scientifique d’Attac

1. Non-respect des promesses et espoirs envolés

Comment et pourquoi des gouvernements issus de mobilisations populaires antilibérales, élus démocratiquement pendant la première décennie du XXIe siècle, ont-ils pu être accusés de ne pas avoir tenu leurs promesses, se faire attaquer pour corruption ou complicité de corruption et finalement être chassés par des prédateurs néolibéraux ? Soulignant les incertitudes qui planent sur l’avenir de l’Amérique latine, le très libéral Financial Times [1] s’interroge sur « l’ironie du sort qui frappe un sous-continent après qu’a été célébrée une décennie latino-américaine », pendant laquelle, « du Rio Grande à la Patagonie, l’Amérique latine a connu une ère démocratique, bénéficié d’une stabilité macroéconomique, d’une période florissante grâce au boom des matières premières et à la demande chinoise. Chaque année, des millions de personnes venaient grossir les rangs d’une nouvelle classe moyenne, le sous-continent était dénucléarisé (par la signature généralisée du traité de non-prolifération), les droits des communautés indigènes commençaient à être reconnus. Sur un continent longtemps marqué par le machisme, le mouvement des femmes pour leur émancipation prenait son essor. La pauvreté et les inégalités diminuaient. Les multinationales s’empressaient ».

Mais, avec la fin du boom économique et la crise, les scandales de corruption ont explosé, provoquant la colère des citoyens exaspérés par les coteries et les mafias présentes au sein des administrations et des appareils d’État. Relayés efficacement par les médias, ces scandales financiers expliqueraient, selon le Financial Times, les succès électoraux de la droite en Argentine, au Chili, au Brésil, en Colombie, en Équateur, au Paraguay, au Pérou. Le constat est juste mais un peu court.

La révélation des affaires de corruption financière par de grandes entreprises, notamment brésiliennes, concernant des dirigeants politiques de premier plan, a certes joué un rôle dans le basculement à droite des électorats latino-américains. Mais ces pratiques ne sont pas nouvelles sur le continent, même si elles ont pris une dimension plus importante avec la libération des échanges et la mondialisation. Elles ont été, en réalité, instrumentalisées au service d’une stratégie de déstabilisation mise en œuvre par l’administration américaine, dont la domination était menacée dans son arrière-cour. Face au défi hégémonique qui l’oppose à la Chine, Washington s’est engagé dans une épreuve de force contre la pénétration économique grandissante de Pékin sur le sous-continent.

Si la crise vénézuélienne est la plus dramatique, d’autres gouvernements qui ont incarné un espoir pour les peuples de la région se sont effondrés. Le Brésil, l’Argentine, pour ne citer que les plus importants, ont connu des crises politiques et institutionnelles internes très graves. Certains des pays regroupés au sein de l’Alliance bolivarienne pour les Amériques [2] (ALBA) connaissent eux aussi des tensions très importantes. Rompant avec les orientations de l’ancien président Rafael Correa et reniant les engagements de sa campagne électorale, son successeur, Lenín Moreno, a quitté l’ALBA. Au Nicaragua, les mouvements populaires font vaciller le despotisme familial de la présidence de Daniel Ortega. La Bolivie semble faire exception. Le président bolivien a signé en 2018 à Pékin un pacte qui fait de son pays « un partenaire stratégique » de la Chine. Mais la politique économique d’Evo Morales est contestée par certains mouvements indigènes. Le président bolivien a pour lui la modernisation économique du pays et la reconnaissance de l’indigénisme, mais, contre lui, l’usure du pouvoir personnel. En dépit d’un référendum en 2016, lors duquel les Boliviens avaient dit « non » à une modification de la Constitution permettant à Evo Morales de se représenter pour un quatrième mandat, ce dernier sera bien candidat à la présidentielle d’octobre 2019. L’élection aura donc valeur de test. Pour Cuba enfin, qui avait bénéficié d’un environnement régional très favorable, les conséquences des reculs et des défaites de ses alliés sont d’autant plus graves que l’île est engagée dans un changement générationnel de dirigeants et dans une transition économique et sociale grosse de dangers, alors même que D. Trump a renforcé les sanctions économiques déjà inscrites dans la loi Helms Burton. Pour la première fois depuis la « période spéciale » qui avait suivi l’effondrement de l’Union soviétique, l’île connaît des pénuries alimentaires et médicamenteuses qui menacent la santé de la population et peuvent ébranler le régime (…)

(…) Lire la suite de cette analyse sur le site de la revue Les Possibles