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Les revers en Amérique latine : quelques éléments d’analyse

Au Venezuela, en Argentine, en Equateur, au Brésil, en Bolivie, Washington part à la reconquête pour le compte des oligarchies et de ses multinationales.

Les révolutions, nous le savions déjà, ne sont pas des processus linéaires,  « étapistes », ascendants, irréversibles.

Constructions humaines, confrontées à l’hégémonie implacable du vieil ordre social capitaliste, alias « mondialisation néolibérale », elles remportent des victoires, tâtonnent, commettent des erreurs, essuient des défaites, se replient, se remettent en cause, repartent à l’offensive…

Ainsi en va-t-il aujourd’hui en Amérique du sud. Nous qui avons soutenu (et soutenons), sans mégoter, Chavez et les Bolivariens, le « socialisme du 21ème siècle », Evo Morales et le MAS, « l’éco-socialisme », le « buen vivir », Correa et la « révolution citoyenne », les Kirchner, Lula, Dilma, les progressistes de ces pays, avons beaucoup appris, reçu, partagé, échangé… S’impose à nous aujourd’hui plus que jamais le devoir d’écouter les analyses de nos camarades latino-américains après les revers subis, de nous risquer aussi à quelques hypothèses, sans tomber dans l’attitude de ceux qui s’érigent, souvent de bonne foi, en donneurs de leçons révolutionnaires. Que diable ces  révolutionnaires  latinos n’ont-ils pas construit en dix ans le socialisme, le vrai , le pur et dur, appliqué le bréviaire marxiste, etc.? Modestie, empathie, solidarité (elle n’a pas été ce qu’elle aurait dû être) et respect, camarades. Regardons-nous d’abord… Devant nous en France : un champ de ruines. Et ce n’est pas que de la faute aux autres.

L’impérialisme est certes parvenu désormais, en Amérique indoafrolatine, à renverser le rapport des forces en sa faveur, mais les forces révolutionnaires, bien qu’affaiblies, restent puissantes, engagées dans des autocritiques nécessaires tout en opposant des résistances fortes au « nouveau cycle » conservateur, à la restauration en marche. Les peuples des pays qui ont « basculé » ont sanctionné la corruption galopante, les conséquences sur la vie quotidienne de la « guerre économique », l’insupportable bureaucratie, l’insuffisante prise en compte de l’aspiration au « changement », des nouveaux besoins… Mais ils n’ont pas plébiscité pour autant le néolibéralisme ; ils savent désormais que l’on peut faire autrement que la brutalité antisociale et autoritaire du président argentin Macri, ou celle d’une opposition vénézuélienne qui veut amnistier des putschistes, empêcher le gouvernement légitime de gouverner, et finalement le renverser.

Au Venezuela, en Argentine, en Equateur, au Brésil, en Bolivie, Washington part à la reconquête pour le compte des oligarchies et de ses multinationales. Cette affirmation peut paraître schématique étant donné, depuis 15 ans, la richesse et la diversité des processus d’émancipation, des formes de « la révolution », des rapports de force, des acquis, des niveaux de conscience. Le président Obama en a fait l’aveu : « nous sommes en train de renouveler notre leadership dans les Amériques ».

Dans les pays du continent qui ont tenté de redistribuer autrement, de mener des politiques sociales avancées (sortant en dix ans 56 millions de personnes de la pauvreté), de reconquérir leur souveraineté, les partis anticapitalistes ont dû souvent négocier, pactiser, former des coalitions avec des forces condamnant les « excès » du néolibéralisme mais pas « le modèle » en tant que tel. Ceci explique les réticences aux réformes de structure, à déployer jusqu’au bout des formes d’implication citoyenne, de démocratie participative, d’auto-organisation des mouvements populaires, à la base. Chavez, avant de mourir, insistait sur la vitale création de « communes socialistes », en bas, afin d’accélérer et de pérenniser le changement social et sociétal. Les tentatives permanentes de déstabilisation ont fait perdre aux nouveaux dirigeants beaucoup de temps et d’énergie , ont éloigné les gouvernements des mouvements sociaux.

Au Venezuela comme en Argentine, les « nouvelles gauches » ont gagné les élections mais n’ont pas réussi à prendre le pouvoir, à créer un nouvel Etat, ou à transformer radicalement l’ancien, à gouverner autrement, à mener la bataille des idées afin de conquérir « l’hégémonie » culturelle, intellectuelle, morale, éthique… A l’évidence, faire reculer la pauvreté ne suffit pas à révolutionner la vie… si les consciences ne suivent pas, si de nouvelles valeurs humaines, sociales, esthétiques, n’émergent pas vraiment.

 

Source :

Jean Ortiz

Chroniques Latines – L’humanité, 06 avril 2016