Maradona, libre dans sa tête (tribune d’Olivier Compagnon – IHEAL / Libération)

Il incarne un rêve de prolétaire : parvenir à s’extraire du bidonville pour devenir une étoile planétaire. Et soudainement, le 25 novembre 2020, quatre ans précisément après la mort de Fidel (qu’il vénérait) et alors même que l’on célébrait la journée pour l’élimination des violences faites aux femmes (qu’il battait), l’Argentine et le monde se mirent à pleurer Diego. «El Pibe de Oro», le plus grand génie de l’histoire du football, l’hubris faite homme.

Après le quart de finale Argentine-Angleterre, le 22 juin 1986. 
Photo Presse Sports

Diego est un rêve de prolétaire qui, grâce à son toucher de balle et à la puissance de ses appuis, est parvenu à s’extraire du bidonville misérable de Villa Fiorito, dans les faubourgs méridionaux de Buenos Aires où il avait grandi, pour devenir une étoile planétaire et millionnaire.

Diego est un veinard qui n’a pas été retenu dans la sélection nationale pour la Coupe du monde de 1978, celle de la honte qui fut certes gagnée par l’Argentine sur ses terres, mais au terme de laquelle il aurait fallu assumer la victoire achetée contre le Pérou et serrer la main du boucher Videla.

Diego est plus courageux que Pelé qui n’a jamais osé quitter le Brésil. Il devient une star en quittant Argentinos Juniors, le club de ses débuts professionnels, pour signer à Barcelone en 1982. Toutes les boîtes de nuit des Ramblas se souviennent encore du jour où Andoni Goikoetxea, de l’Atletico Bilbao, lui brisa la cheville.

Diego a le nez creux lorsqu’il signe à Naples en 1984, la seule ville du monde qui a encore moins de limites que lui. Deux championnats et une coupe d’Italie, une coupe UEFA, pas mal de cocaïne, des liaisons très dangereuses avec la Camorra et des dettes infinies envers le fisc péninsulaire.

Diego est au sommet de son art lorsqu’il brandit la seule vraie Coupe de monde gagnée par l’Argentine, en 1986, après avoir éliminé l’Angleterre à lui seul en quarts de finale. La main de Dieu et le but du siècle en guise de revanche nationaliste après la guerre de Malouines. «Barrilete cósmico, ¿ de qué planeta viniste para dejar en el camino a tanto Inglés ?» («Cerf-volant cosmique, de quelle planète es-tu venue pour laisser tant d’Anglais derrière toi ?»)

Diego l’a mauvaise lorsqu’il perd la finale d’une nouvelle Coupe du monde en 1990. Mais il a au moins su démontrer que la nation italienne n’existait pas en se faisant acclamer par le public napolitain lors de la demi-finale entre l’Argentine et l’Italie.

Diego est l’ombre de lui-même aux États-Unis en 1994. De l’extérieur de la surface, il plante une lucarne parfaite contre la Grèce. Mais il se fait prendre par la patrouille pour s’être empiffré d’éphédrine et quitte l’arène internationale par la porte de derrière.

Diego emploie les grands moyens, pour ses dernières saisons professionnelles à Newell’s Old Boys et à Boca Juniors, en s’entraînant avec l’irréprochable Ben Johnson. Pendant son dernier tour d’honneur à la Bombonera, on dit que la pelouse fut inondée de ses larmes et de celles des hinchas.

Diego boit trop, fume trop, sniffe trop. Lorsqu’il frôle la mort en 2004, il doit recourir à la médecine socialiste et cubaine. «Me siento cubano» («Je me sens cubain»), déclare-t-il reconnaissant, quatorze ans plus tard, en arrivant à La Havane pour les funérailles de Fidel.

Diego a le cœur qui penche à gauche dans les années 2000 et soutient Chávez, Lula et la cause palestinienne en exhibant régulièrement un tatouage du Che sur le biceps droit. La conscience pérenne qu’il sera toujours un descamisado. (…)

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(Le Monde)
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