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Marche contre « les féminicides » en Argentine et dans toute l’Amérique latine

Face à l’accumulation de meurtres particulièrement sauvages de femmes, un collectif a organisé une grève symbolique et une manifestation « pour exiger la fin de la violence machiste ».

Défilé sous les parapluies à Buenos Aires

Le mode de mobilisation est inédit mais malheureusement nécessaire, selon les organisatrices, pour lutter contre la violence endémique dont sont victimes les femmes en Argentine.

Une cinquantaine d’associations, syndicats et autres organisations, pilotés par le collectif Ni Una Menos (« Pas une de moins »), ont appelé toutes les femmes du pays àeffectuer une heure de grève, mercredi 19 octobre entre 13 heures et 14 heures. Une manifestation a ensuite eu lieu à 17 heures à Buenos Aires. Des dizaines de milliers de personnes ont convergé, sous la pluie, sur l’emblématique place de Mai.

Le visage de cette mobilisation, celui qui était dessiné sur les drapeaux ou écrit sur les pancartes, a été celui de Lucía Pérez. Cette lycéenne de 16 ans a été violée, torturée et assassinée la semaine dernière à Mar del Plata. Le meurtre, d’une violence insoutenable, a choqué le pays. María Isabel Sánchez, la procureure en charge de l’affaire, l’a décrit comme « un acte d’agression sexuelle inhumain ».

« Je suis une mère et une femme. J’ai beau avoir travaillé sur des milliers de crimes dans ma carrière, je n’avais jamais rien vu de tel. »

La médiatisation et la banalité quotidienne d’une telle sauvagerie ont incité les membres du collectif Ni Una Menos à organiser rapidement cette action, leur cinquième de l’année. Ce collectif de journalistes, écrivaines et activistes avait déjà fait descendre près de 200 000 personnes dans les rues de Buenos Aires en juin 2015 pour dénoncer la violence subie par les Argentines. Le 19 octobre, des manifestations de solidarité ont eu lieu en Espagne, au Chili, au Mexique ou en Uruguay.

La grève symbolique figure le passage de la mobilisation un cran au-dessus, car rien n’a vraiment changé, politiquement ou socialement. L’objectif, selon Ni Una Menos, est de « montrer l’importance des femmes dans l’économie productive du pays » et « les inégalités et la violence de genre » de l’Argentine de 2016.

Maria Florencia Alcaraz, membre du collectif, donne plus de détails :

« Les meurtres récents, comme celui de Lucia, ont remis le sujet au cœur des discussions, mais il y a bien d’autres raisons encore de manifester. Ceci est une réponse à l’état dans lequel vivent les femmes en Argentine. »

« Féminicide » et faillite politique

Le terme utilisé par les associations et le gouvernement argentin n’est pas « meurtre » ou « homicide ». C’est « féminicide », mot aux résonances volontairement politiques. L’ONG Casa Del Encuentro, qui vient en aide aux femmes, le définit comme « une des formes les plus extrêmes de violences faites aux femmes, c’est l’assassinat d’une femme par un homme qui la considère comme sa propriété ». Ce terme a été inscrit dans le code pénal argentin en 2012 comme circonstance aggravante d’un homicide.

Selon les statistiques officielles, que tout le monde considère comme bien en deçà de la réalité, il y a officiellement eu 235 féminicides en 2015 et 225 en 2014, année de la création de cette statistique. Elena Highton, vice-présidente de la Cour suprême et présidente du Bureau des violences domestiques, reconnaissait publiquement, au mois de juillet, que « la politique actuelle ne suffi[sai]t pas, il faut en inventer des nouvelles ». Les associations regrettent que la législation votée en 2012 soit rarement appliquée à la lettre.

Quelques jours après les propos de Mme Highton, le gouvernement du président Mauricio Macri présentait un plan national de lutte contre la violence faite aux femmes.

Quelques mois plus tard, Lucia Pérez était brutalement assassinée. C’était la 226e femme tuée en 2016, selon l’ONG Mujeres de la Matria Latinoamericana, et la 19e lors du seul mois d’octobre.

La veille de la manifestation du 19 octobre, comme pour symboliser le décalage entre la réalité du pays et l’action politique, un projet de réforme gouvernemental était rendu public : il supprimait, par volonté ou par oubli, l’Unité fiscale spécialisée dans la violence faites aux femmes (UFEM), organisme créé il y a moins d’un an pour enquêterspécialement sur les crimes commis contre les femmes.

 

Le mot d’ordre de la manifestation, son organisation, son exportation de l’Argentine vers l’étranger, ont été préparés, réfléchis et communiqués en ligne, via des pages Facebook, une image en guise d’avatar pour les profils affichés sur les réseaux sociaux et de nombreux hashtags avec lesquels on a pu suivre la grève, la marche et la mobilisation qui continuera :

#NiUnaMenos (« Pas une de moins »)

#ParoDeMujeres (« Grève des femmes »)

#NosotrasParamos (« Nous faisons grève »)

#VivasNosQueremos (« Vivantes, nous nous aimons »)

#MiércolesNegro (« Mercredi noir »)

Au-delà de l’horreur des vies brisées par la violence et des statistiques froides qui s’accumulent, les organisatrices auront réussi à alerter sur la situation des femmes dans le pays. Comme le souligne leur communiqué :

« Derrière la hausse et la cruauté de la violence contre les femmes, il y a une question économique. Le manque d’autonomie des femmes nous laisse sansdéfense à l’heure de dire non et nous transforme en cibles faciles et corps “pas chers” pour les trafiquants en tout genre. »

Source: Le Monde Luc Vinogradoff