Mexique : des responsables autochtones dénoncent les « méga-projets destructeurs » (Maïa Courtois – Rapports de force / Antoine Legrand – Médiacoop)


Trois membres du Congrès National Indigène du Mexique étaient de passage à Paris, mardi 19 octobre, dans le cadre de la tournée européenne d’une délégation zapatiste. Ces représentants de peuples autochtones ont alerté sur les dommages causés par des méga-projets industriels, portés pour certains par des multinationales françaises. Face aux dégâts environnementaux à venir, la résistance de ces populations affectées s’organise. 

Peinture murale (Chiapas)

Devant le petit auditoire rassemblé au Centre international de culture populaire, à Paris, trois représentants de peuples autochtones mexicains nomment haut et fort les entreprises françaises responsables de la destruction de leur environnement. En première ligne : EDF et Danone. « Ces méga-projets engagent une destruction grave de nos forêts, de nos terres, de notre eau », affirme Ángel Sulub, représentant du peuple maya. « On appelle cela une spoliation de la vie. Parce que ces méga-projets sont destructeurs de nos terres », abonde, assise à ses côtés, Maribel Cervantes, représentante du peuple populuca. Derrière eux, une carte du Mexique est projetée, sur laquelle sont épinglés tous ces grands chantiers actuels.

Ángel Sulub, Maribel Cervantes et María de Jesús Patricio Martínez sont trois membres du Congrès National Indigène mexicain. Né en octobre 1996, suite au soulèvement des zapatistes, le CNI regroupe des délégués des divers peuples autochtones mexicains. Leur credo : « Jamais plus un Mexique sans Nous ». María de Jesús Patricio Martínez en est la porte-parole. Guérisseuse Nahua, elle fut la première femme issue d’un peuple autochtone à se présenter à une élection présidentielle mexicaine, en 2018.

Leur venue à Paris a été organisée par la délégation zapatiste présente en Europe dans le cadre de leur « Voyage pour la Vie ».

EDF et Danone pointés du doigt au Mexique

Dans le sud du Mexique, EDF porte un vaste projet d’implantation d’éoliennes, Gunaá Sicarú. « Prisée pour la puissance et la constance de ses vents, la commune d’Union Hidalgo demeure un véritable eldorado pour les leaders mondiaux du secteur énergétique », retrace l’ONG CCFD Terre Solidaire. Dans un rapport paru en juin 2021, l’ONG pointe les manquements de l’État français, principal actionnaire d’EDF. Avec ses 115 éoliennes, le projet affectera le territoire des habitants d’Union Hidalgo, « issus à 90 % du peuple autochtone zapotèque, pour qui le rapport à la terre et à la nature est sacré », rappelle l’ONG.

Au centre du Mexique, Danone est aussi dans le viseur des représentants des peuples autochtones. La multinationale « est en train d’extraire toute l’eau des volcans. Cela créé de grands cratères, et la terre s’y effondre. C’est une catastrophe », alerte Maribel Cervantes. Pour mener à bien ses activités, Danone utilise la société Bonafont, rachetée en 1995 (le Mexique est, depuis lors, un pays stratégique pour le géant de l’eau).

Aux yeux des trois représentants, ces projets industriels se nourrissent entre eux. Le parc éolien d’EDF viendra répondre aux besoins énergétiques des autres chantiers, que le gouvernement mexicain aime à nommer « pôles de développement». « Nous ne voulons pas du couloir transisthmique qui transforme en une usine d’énergie éolienne, de sous-traitance et d’exploitation de minerais des zones entières depuis l’Océan Pacifique jusqu’au Golfe du Mexique », écrit le CNI dans une déclaration datée du 11 octobre.

Sans compter qu’un nouvel accord commercial est en cours d’élaboration entre l’Union Européenne et le Mexique. Cet accord risque d’accélérer ce type de méga-projets. « L’expérience nous apprend que les accords de libre échange ont toujours été en faveur des multinationales et des instruments de destruction », tranche Ángel Sulub. « Et que cela a toujours accéléré la dépossession de nos peuples ».

Assassinats et enlèvements de défenseurs des droits humains

Pour les trois responsables autochtones, la complicité est grande entre les entreprises transnationales, le gouvernement mexicain, et certains groupes armés. « Ces méga-projets sont accompagnés d’une militarisation ; de programmes d’assistance sociale qui visent à fragmenter les sociétés ; et de persécutions des défenseurs des droits humains » précise Ángel Sulub. Les assassinats et enlèvements de défenseurs des droits humains se multiplient, et demeurent impunis. Pour n’en citer qu’un : Samir Flores Soberanes, membre du Front populaire de défense de la terre et de l’eau (une association présente dans le centre-est du Mexique), a été abattu en février 2019 après avoir reçu des menaces de mort. 

Ces menaces sont de plus en plus nombreuses pour ceux qui s’opposent aux méga-projets industriels et au gouvernement mexicain. « Dans le Chiapas, le groupe paramilitaire ORCAO intensifie ses attaques armées contre les communautés zapatistes. Pas plus tard qu’il y a quelques jours, il y a eu une nouvelle attaque », déplore ainsi Ángel Sulub. 

Dans ce contexte, comment continuer à faire entendre la voix des peuples autochtones ? « Le plus important pour nous, c’est d’avoir des organisations de terrain, luttant à la base », insiste Maribel Cervantes. Certaines poches de résistance font face à plusieurs projets. « Dans l’État du Yucatán, il y a une grande résistance contre le mal-nommé « train Maya », un projet qui menace toute la région sud-est du pays. Cette lutte se concentre aussi contre les projets d’éoliennes d’EDF, et les élevages intensifs de porcs », cite Ángel Sulub. (…)

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« Plus jamais un Mexique sans nous! »
(Antoine Legrand – Médiacoop)

Dans le cadre de la tournée européenne d’une délégation zapatiste, trois membres du congrès national indigène du Mexique sont venus présenter leurs luttes à la Maison des Paysans de Lempdes. L’occasion de comprendre le fonctionnement de leur organisation et les enjeux qui frappent leurs territoires.

Des personnes comme ça, on en rencontre pas tous les jours. En plus de défendre leurs terres, elles défendent la Terre avec un grand T dans un soucis de respect de l’environnement et de l’humain. Une délégation zapatiste a invité pour son voyage en Europe des membres du CNI (Congrès National Indigène du Mexique). Ces derniers profitent de la tournée d’environ un mois pour comparer les luttes et les moyens de résistance à l’œuvre dans d’autres pays. Le CNI est fondé en 1996 à la suite d’un appel de l’Armée Zapatiste de Libération Nationale à tous les peuples indigènes. Avec pour objectif d’unir tous les peuples indigènes autour de réflexions et de luttes communes, il possède ses propres formes d’organisations, de représentations et de prise de décisions. 

Convergence des luttes

En France la semaine dernière, les militants ont souhaité transmettre leur expérience et comprendre quels enjeux notre continent pouvait partager avec le leur. Car pour eux, le capitalisme assassin, l’accaparement des ressources ou la pollution de la nature sont des problématiques universelles. Trois membres ont été reçus à la Maison des Paysans de Lempdes par le collectif Eau Bien Commun 63. Marichuy, porte-parole du CNI et ancienne candidate aux élections au Mexique, Ángel Sulub, délégué Maya et Maribel Cervantes, déléguée Populuca, sont dans la petite salle commune pour mener la présentation. Ils parlent de leurs différents territoires. Ensuite, des luttes menées, de leur organisation et surtout, de leurs différents ennemis : l’État corrompu, les multinationales et les mégas-projets.  

Un engagement total

« C’est une lutte pour la vie », commence par dire Marichuy, guérisseuse Nahua et première femme issue d’un peuple autochtone à se présenter à une élection présidentielle mexicaine, en 2018. Si l’engagement du CNI est très large, toutes les luttes ont à voir avec des attaques contre l’identité culturelle indigène et des spoliations de territoires. D’ailleurs, l’eau est souvent le point de convergence. « L’idée pour nous et pour eux, c’est d’arriver à se rassembler, notamment contre l’ennemi qu’est le capitalisme qui détruit les ressources et le vivant », explique Laurent Campos-Hugueney, porte-parole du collectif Eau Bien Commun. (…)

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