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Remettre l’économie vénézuélienne en ordre de marche

Que faut-il faire pour remettre l’économie du Venezuela en ordre de marche ? Une majorité d’analystes considère que la question ne se pose même pas. L’opposition vénézuélienne dit la même chose. Pour des raisons évidentes, elle ne souhaite pas une récupération économique tant qu’elle n’aura pas pris le pouvoir. La majorité des médias tient un discours identique. Pour eux, l’économie est en faillite et le collapsus final est imminent et inévitable.

Mais regardons les chiffres. Les meilleures estimations et prévisions relatives à l’économie vénézuélienne ont été faites par la Bank of America Merrill Lynch (BOA). Contrairement au FMI, dont les prévisions pour le produit intérieur brut (PIB) 2015 étaient erronées, la BOA a vu juste. Se servant d’un modèle statistique, elle a même prédit correctement les résultats des élections législatives du 6 décembre dernier.

La BOA estime que le déficit de financement du secteur public au Venezuela est d’environ 24 milliards de dollars pour l’année en cours, dont près de 5 milliards seraient couverts par des prêts chinois. Pour l’ensemble de l’économie, le déficit en compte courant a été d’environ 18 milliards en 2015. La BOA estime également que le gouvernement dispose de quelque 60 milliards d’actifs – en incluant ses réserves internationales – qu’il pourrait vendre en dollars. Le pays n’est donc pas au bord de la faillite ; il dispose d’au moins un an pour redresser l’économie, et même d’un peu plus en fonction des cours du pétrole.

Ci-après, un bref résumé des quelques mesures à prendre en vue de la récupération économique :

  1. Comme indiqué plus haut, l’économie souffre de grands déséquilibres qu’il faudra réduire. En premier lieu, il importe donc de garantir que les Vénézuéliens et Vénézuéliennes pauvres, que les travailleurs et travailleuses ne paieront pas le prix des ajustements. Cela implique la création d’un système garantissant la disponibilité d’aliments, de médicaments et des produits de première nécessité à des prix abordables. De nombreux gouvernements disposent déjà de ce type de système, y compris celui des Etats-Unis où plus de 45 millions de personnes reçoivent des bons d’alimentation.
    Le gouvernement vénézuélien a démontré sa capacité administrative lorsqu’il veut réellement l’utiliser, par exemple pour organiser des élections nationales. En 2015, il a même réussi à réduire de manière significative la quantité des dollars qui se sont évaporés en raison de la fuite des capitaux, ce qui est surprenant quand on sait à quel point le régime des taux de change favorise les abus. Le gouvernement a les moyens nécessaires pour créer ce mécanisme de bons d’alimentation et pour mettre ainsi les personnes à l’abri des hausses de prix et éviter ainsi les pénuries.
  2. Une fois ce système installé, le gouvernement peut unifier les taux de change de manière à corriger le déséquilibre le plus nuisible pour l’économie dans la mesure où il est à l’origine de la spirale inflation/dépréciation depuis la fin de l’année 2012. Le taux croissant du dollar sur le marché noir provoque la montée en flèche de l’inflation qui, à son tour, fait grimper le cours parallèle du billet vert dans un cercle vicieux continu.La meilleure manière de rompre ce cycle, et la plus rapide également, est de laisser flotter la monnaie nationale, le bolivar. Nul ne sait à quelle hauteur elle se situerait, probablement entre 150 et 200 bolivars pour un dollar, très loin du taux actuel (autour de 1 000 bolivars) sur le marché noir. Certes une dévaluation de cette ampleur provoquerait une certaine inflation. Cependant, nous savons qu’après quatre des cinq dernières dévaluations l’augmentation correspondante de l’inflation avait pratiquement disparu en moins d’un an. Seule la dernière dévaluation, décidée au milieu d’un cycle inflation/dépréciation a entraîné une hausse durable de l’inflation. L’unification du taux de change briserait cependant la spirale et mettrait fin au marché noir.

    Une fois que la monnaie commencerait à se stabiliser, une bonne quantité de dollars reviendrait au pays puisque tous les produits seraient moins chers pour ceux qui détiennent des devises. C’est ce qui arriva en Argentine en 2002 après une forte dévaluation. Ensuite, le gouvernement argentin maintint le taux de change à des niveaux réalistes pendant 6 mois, et l’économie repartit rapidement. A noter que les milieux d’affaires avaient annoncé une hyper inflation et la persistance d’une profonde dépression…

    Au Venezuela, toute dévaluation qui ne briserait pas le cycle inflation/dépréciation conduirait probablement à une crise permanente de la balance de paiements et provoquerait encore plus d’inflation. S’il unifie les taux de change à des niveaux réalistes, le gouvernement pourrait éviter la perte de précieuses réserves protégeant une monnaie surévaluée. On mettrait ainsi fin aux crises chroniques de la balance de paiements et à une bonne partie de la corruption provoquée par la surévaluation des taux de change officiels.

  3. Une fois ces mesures prises, et si les consommateurs sont mis à l’abri d’une augmentation des prix des produits de première nécessité, le gouvernement pourrait commencer à lever certains contrôles des prix dysfonctionnels, y compris celui qui permet la distribution pratiquement gratuite de l’essence.
    Ainsi, des milliards de dollars perdus à cause de la contrebande seraient économisés.
  4. S’adapter à la baisse mondiale des cours du brut dans le moyen et le long terme suppose une diversification de l’économie au-delà du pétrole. En 2011, le Venezuela a importé environ 24 % de ses besoins en aliments. Pourtant le pays pourrait être presqu’autosuffisant. Il pourrait alors développer d’autres stratégies de substitution des importations et de diversification, ce qui serait plus aisé avec une monnaie de moindre valeur officielle.

    Le gouvernement devrait prendre des mesures additionnelles pour réduire l’inflation et développer d’autres politiques favorisant la croissance et le développement économique. Mais l’urgence est la stabilisation de l’économie pour en finir avec les crises de la balance de paiements, avec les pénuries chroniques et avec la récession des deux dernières années.

 

Source :

Mark Weisbrot,

Mémoire des luttes, 16 février 2016

Source espagnole : Ultimas Noticias

Illustration : SantiMB.Photos