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Cinq années de gouvernement populaire en Bolivie

                  LES DILEMMES D’EVO MORALES

Le 6 décembre 2009, l’heure était à l’euphorie parmi les mouvements sociaux boliviens. Déjà vain-
queur à la majorité absolue quatre ans auparavant, Evo Morales était triomphalement réélu à la
tête de l’État bolivien avec un nouveau record en guise de résultat : 64,2 % des voix ! Ce score per-
mettait par ailleurs au Mouvement vers le Socialisme (MAS), le parti de Morales, de disposer de la
majorité au sein de la Chambre des députés comme du Sénat. Cette victoire semblait alors marquer
la fin d’un cycle pour le moins douloureux d’affrontements en chaîne avec une opposition détermi-
née à délégitimer le gouvernement, quitte à jouer la carte de la déstabilisation. Un an plus tard, en
décembre 2010, on assistait pourtant aux premières protestations contre la politique de Morales,
qui suscite un mécontentement croissant au sein des secteurs populaires. C’est là tout le paradoxe
d’une révolution dont le bilan, après seulement un mandat et cinq années d’exercice du pouvoir, fait
déjà polémique parmi ses propres partisans.

Un premier mandat de réformes tous azimuts             tes qui ont accompagné le mouvement po-
Lorsque Morales est investi président de la            pulaire dans ses luttes par le passé. Cet alliage
République le 22 janvier 2006, les défis sont          entre les dissidents d’hier et les résistants
énormes. Le pays sort d’une période de mo-             d’aujourd’hui, qui occupe désormais massi-
bilisations quasi-permanentes des secteurs             vement les travées des différentes institutions
populaires contre des gouvernements dont               du pays, symbolise à lui seul l’authentique
la politique se fonde sur deux piliers : réfor-        révolution politique que vit la Bolivie depuis
mes néolibérales et règlement de la question           2005, révolution qui a pratiquement poussé
sociale par la répression. La crise politique est      les élites d’hier vers la touche.
devenue la règle, et deux présidents doivent           Le premier mandat voit pourtant le gouver-
démissionner coup sur coup, entre 2003 et              nement tenir pratiquement toutes ses pro-
2005. De ces crises est né un espoir qui a pour        messes. Les réformes économiques, aussi
nom « l’agenda d’octobre », issu de la « guerre        modestes soient-elles, marquent la volonté
du gaz » menée à El Alto en 2003 contre le             d’œuvrer dans l’intérêt des plus humbles.
bradage d’une ressource décisive pour le dé-           Ainsi, la nationalisation des hydrocarbures,
veloppement de la Bolivie. Cet agenda, dont            symbolisée par la formule chère à Morales,
les deux piliers sont la nationalisation des           «Queremos socios, no patrones» (Nous vou-
hydrocarbures et la convocation d’une As-              lons des associés, pas des patrons), illustre à
semblée constituante, constitue la feuille de          elle seule les dilemmes et désirs du nouveau
route de Morales lorsqu’il arrive au pouvoir.          pouvoir. Cette nationalisation, par exemple,
Pas évident, pourtant, de prendre les rênes            n’implique pas d’expropriation, et pour cause.
d’un État laissé exsangue par vingt années de          La simple renégociation des contrats pétro-
néolibéralisme...                                      liers à laquelle celle-ci donne lieu provoque
D’autant que l’attelage à la tête duquel est           des secousses telles chez les pays exploitants
Morales, hétérogène au possible, ne partage            – comme le Brésil voisin – qu’on craint un mo-
pas nécessairement les mêmes aspirations : si          ment, au sein du cabinet Morales, qu’il n’y ait
le MAS est, à l’origine, un parti paysan, ses al-      plus de personnel technique capable d’assu-
liances avec les principales organisations que         rer la poursuite des activités dans le secteur.
compte la Bolivie contestataire sont parfois à         Les multinationales, finalement promptes à
la source de multiples et incessants conflits          revoir leurs profits à la baisse, acceptent de
internes. Illustration de ce phénomène, le             rester.
groupe parlementaire comme le cabinet                  Et le gouvernement peut quant à lui finan-
voient cohabiter en leur sein des paysans, des         cer une série de politiques sociales à impact
indigènes, des mineurs coopérativistes, des            immédiat, telles que les bonos (allocations)
syndicalistes ouvriers, côte à côte avec d’ex-         de maternité (Juana Azurduy), de vieillesse
militants de gauche, des intellectuels, des            (Renta Dignidad) ou encore contre la déser-
journalistes et des cadres d’ONG progressis-           tion scolaire des enfants (Juancito Pinto).

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