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Le Pérou du XXIème siècle,
                   les défis d’un pays émergent

                           miné par les inégalités

Des paysages à couper le souffle, une gastronomie reconnue au niveau mondial, un taux de
croissance à faire pâlir les économies occidentales, le Pérou semble avoir tous les atouts pour
devenir le prochain grand pays émergent d’Amérique latine.

Ce pays qui, il y a une vingtaine d’années, traver-       de bonbons ou de bijoux fantaisie qui travaillent       DOSSIER
sait une des pires crises économiques de son his-         sans protection sociale, sans contrat de travail et
toire avec un taux d’inflation de plus de 2700 %          pour gagner de quoi s’acheter le pain quotidien.
en 1989, subit au début des années 1990 un ajus-          Ces Péruviens vivent hors du système économi-
tement structurel qui va configurer durablement           que officiel et pourtant génèrent quasiment la
le système économique péruvien. Sous l’égide du           moitié de la richesse du pays. Des bénéfices de la
bien mal nommé « Consensus de Washington »,               rente minière, ils ne voient que les résultats dans
l’état péruvien privatise ses entreprises, concède        les journaux télévisés. L’ économie informelle est
ses terres, réduit drastiquement les droits éco-          un secteur dérégulé, régi par des lois propres et
nomiques de ses concitoyens, le tout dans un              où la méfiance envers l’intromission de l’Etat dans
contexte de mainmise autoritaire sur le pouvoir           les affaires est la règle.
par le président d’origine japonaise, Alberto Fuji-       C’est que l’Etat a rarement apporté des solutions
mori. Il semble presque facile vingt ans plus tard        concrètes pour une grande partie de la popula-
de dire qu’à présent le Pérou est en pleine forme         tion, il a davantage contribué à maintenir la struc-
économique avec 7 % de croissance en 2012 et              ture inégalitaire de la société péruvienne héritée
une inflation et une dette publique jugées avec           de la colonisation.
satisfaction « sous contrôle » par le FMI.                En effet, une des caractéristiques les plus impor-
C’est ce visage de l’économie péruvienne que le           tantes de cette société péruvienne est sa frag-
gouvernement et les promoteurs de l’investisse-           mentation, sa division traditionnelle entre trois
ment au Pérou vendent aux étrangers mais aussi            aires géographiques qui déterminent trois identi-
à leur propre population. Le mythe de la crois-           tés culturelles distinctes dans le pays : la Costa (ou
sance, tout le monde a envie d’y croire après tant        côte littorale du Pacifique) à majorité blanche, la
d’années de difficultés économiques.                      Sierra (la montagne, soit les Andes péruviennes) à
Cependant, que penser du modèle de dévelop-               majorité indienne des Andes et la Selva (la jungle)
pement promu par les gouvernements successifs             à majorité indienne d’Amazonie. Historiquement
péruviens ? Basé sur l’exportation des matières           c’est la côte, et sa capitale Lima, qui dominent po-
premières, dépendant par la même des prix des             litiquement et économiquement le pays, les élites
marchés fixés dans les pays dits « développés »,          blanches « créoles » y administrent le pays, margi-
l’économie péruvienne se « reprimarise » donc             nalisant les indiens, qui sont jusqu’à aujourd’hui
depuis trente ans tout comme dans nombre de               considérés comme des citoyens de seconde zone.
pays d’Amérique latine d’ailleurs. Source d’argent        Le racisme est donc un trait dominant de la so-
que certains croient inépuisable, c’est le secteur        ciété péruvienne, révélateur d’un clivage culturel
minier qui soutient la fabuleuse croissance pé-           qui ne parvient pas à être dépassé. Le rôle des
ruvienne (il représente 60% des exportations en           différentes institutions censées réguler la société
2012).                                                    telles, l’Etat et l’Eglise, n’a jamais joué en faveur
Or, il y a peu de tentatives de diversification de        d’un rapprochement entre les Péruviens, bien
l’économie péruvienne, laquelle est rongée par            au contraire. L’Eglise catholique, qui a évangélisé
un mal profond que les gouvernants cherchent à            par la force au moment de la colonisation, s’est
peine à éradiquer : l’économie informelle. Elle re-       progressivement retirée des zones marginalisées
présente pourtant 40% du PIB et 70% de l’emploi           du territoire péruvien pour être davantage pré-
à l’échelle nationale en 2010. Au-delà des chiffres,      sente dans les centres de pouvoir de la côte. C’est
ces travailleurs informels sont partout dans les          d’ailleurs un des facteurs qui expliquent le succès
rues des grandes villes : vendeurs de journaux,           croissant des églises évangélistes dans le pays,

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