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DOSSIER de ses milices en période de cessez le feu ?- n’ont mexicains ou étrangers, puissent venir chez eux et,
jamais voulu admettre qu’il s’agissait d’une orga- avec générosité et beaucoup de patience, ils leur
nisation avec de solides racines dans les peuples. montrent le sens profond de leur résistance, avec
Ce fait explique qu’ils réussiront à mettre de côté l’espoir que cela se convertisse en une graine qui
le militaire et à utiliser la base matérielle des ter- germe. Comme la Escuelita, je pense que l’EZLN a
res récupérées pour mettre en pratique une nou- réussi à s’approprier une zone virtuellement libérée,
velle éthique sous le principe de « commander bien qu’avec des territoires discontinus, et en coexis-
en obéissant », qui exprime une théorie du tant avec ceux qu’ils appellent les frères partisans,
pouvoir depuis le bas et la gauche. souvent membres du PRI. Il ne s’agit pas d’une occu-
Cette dimension est présente dans leur décision pation pour continuer à faire la même chose ; leurs
de construire un pouvoir civil pour atteindre pratiques et valeurs sont réellement contre-hégé-
l’auto-éducation, l’autosubsistance, la santé, la moniques et ils ont pleine conscience de cela. Ils ont
justice et le gouvernement autonomes. C’est un réaffirmé la voie pacifique et ont noté avec insistan-
projet inédit pour une guérilla, qui sans renver- ce: « la résistance est notre arme. Nous ne luttons pas
ser le pouvoir national, a construit son espace pour la mort, nous le faisons pour la vie, pour la liberté
autonome. Toujours dans une logique médiati- de tous les peuples du monde. »
que, les secteurs proches du gouvernement et
ses alliés se demandent si l’EZLN a toujours de Magdalena GOMEZ
la force et omettent toute référence au travail de Publié dans la rubrique Opinion du journal
construction de ces 19 dernières années.
Le zapatisme ne semble pas avoir pour objectif mexicain La Jornada du 14 janvier 2014,
de convaincre l’État de son projet ; par contre, il avec l’aimable autorisation de Carmen Lira,
oeuvre pour que les secteurs issus des contextes
et des expériences les plus divers, qu’ils soient directrice de la publication.
Traduction : Cora de Villeneuve
© Catherine Gégout Une révolution dans la révolution : les femmes zapatistes
Le « YA BASTA ! » des femmes. Entretien avec Marcos, La Realidad, décembre 1995.
« Toutes les femmes des forces régulières de l’EZLN sont indiennes. Elles
étaient opprimées parce qu’elles étaient pauvres, indiennes et femmes.
Elles se sont engagées dans une armée majoritairement masculine, alors
que la « tradition » ne permet pas qu’une femme commande des hommes.
Au début, elles ont eu quelques problèmes pour contrôler leurs troupes et
elles ont gagné leurs galons avec de grandes difficultés. Mais cela a chan-
gé le 1er janvier 1994, car elles ont dirigé avec succès toutes les opérations
militaires dont elles avaient le commandement. Cela a modifié la percep-
tion que la troupe avait du sexe de ses chefs.
Nous, les hommes zapatistes, sommes souvent machistes, et les femmes
ont gagné leur place dans le mouvement parfois malgré nous. Au départ,
tout leur était contraire. La femme qui quittait sa famille et partait dans la
montagne rejoindre nos rangs était considérée comme une pute. Si bien
qu’au début, dans nos villages, les femmes zapatistes n’ont pas toujours été comprises par les autres femmes. Il a fallu beau-
coup expliquer…
Finalement, lorsque les femmes des communautés ont vu ces femmes zapatistes faire des choses qu’elles n’imaginaient pas
pouvoir faire – lire et écrire, avoir une arme et savoir l’utiliser, donner leur opinion, commander des hommes -, il y a eu une
sorte de rébellion interne contre la structure culturelle de la communauté. Elles ont compris qu’elles aussi pouvaient appren-
dre, que combattre n’était pas forcément une affaire d’hommes et qu’elles avaient leur mot à dire dans la direction des choses.
La première révolte zapatiste n’a pas eu lieu le 1er janvier 1994. Elle a été faite par les femmes, à l’intérieur de l’EZLN. Et ce n’est
pas terminé !
Les femmes nous ont appris qu’il y a la bonne et la mauvaise tradition, et elles ont contesté trois privilèges des hommes : ce-
lui de la possession de la terre, celui de choisir son conjoint et celui de boire de l’alcool. Ivres, les hommes battent femmes et
enfants. Elles ont dit : « Ou nous nous saoulons, ou personne ne boit. » Les hommes ont dit : « Pas question que les femmes se
saoulent ! » Alors la décision a été prise d’interdire totalement l’alcool dans les villages zapatistes ! »