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EDITORIAL

                   Quand les gouvernements chilien et français « collaborent »
A Santiago du Chili, depuis 6 ans, une petite équipe militante d’avocats se démène pour défendre, vaille
que vaille, celles et ceux qui font face à la répression d’État, et ils sont malheureusement très nombreux
dans ce pays avec lequel France Amérique Latine a noué de nombreux liens en 40 ans de solidarité
internationale. La Defensoría a ainsi organisé, de manière bénévole et dans des conditions financières
très précaires, la défense d'étudiants et de lycéens de la région de Santiago, Valparaíso, et Antofagasta,
d’habitants des quartiers populaires et du mouvement des sans toit de plusieurs villes, de dizaines de
dirigeants syndicaux, de membres des communautés mapuche en lutte dans le sud du pays, de plu-
sieurs militants écologistes qui font face aux transnationales, etc : ceci alors que les relations entre l’État
chilien et les mouvements sociaux se caractérisent par une forte criminalisation des revendications col-
lectives malgré la fin de la Dictature civilo-militaire, en 1990.
« Nous nous sommes aussi consacré-es en d'innombrables occasions -note un document de la Défense po-
pulaire- à la promotion des droits, en participant à des forums, débats et autres dans diverses villes du pays,
toujours dans le champ de la criminalisation de la dissidence, de l'activisme social et/ou des militant-e-s
engagé-e-s dans la lutte sociale ».
Le 22 novembre dernier, une délégation de deux des avocats de ce collectif atterrissent sur le tarmac de
l'aéroport Charles de Gaulle. L’arrivée de Rodrigo Román et de María Ribera en France marque le début
d’un tour d’Europe d’une dizaine de jours, afin de rendre visible leur travail, mais aussi de trouver des
sources de financement pour le développement de leur courageuse action solidaire. Dans un agenda
très chargé, ils ont prévu de rencontrer plusieurs organisations sociales, associations (parmi lesquelles
FAL), partis politiques, élus, en France, Belgique, Allemagne et Espagne. Ce même jour, vers 11h, une
nouvelle commence à parcourir les réseaux sociaux : María Ribera a été détenue à l'aéroport par des
fonctionnaires de la police française, qui n'ayant trouvé aucun motif pour lui interdire l'entrée dans le
pays, durent justifier sa rétention pour des motifs politiques. Maria témoigne : « J'ai exigé que soit res-
pecté le droit international qui permet le recours à un traducteur et la présence du consul, mais ils n'en ont
eu cure et se sont mis à rire tout en m'enfermant dans une cellule sans me donner la moindre explication ».
Après qu'elle ait obtenue un traducteur, les policiers lui montrent finalement sur un écran, comme
« preuve », toute son histoire politique y compris des informations concernant sa détention par des
militaires à l'époque de la dictature de Pinochet ! Vraisemblablement des informations (sans aucun
rapport avec la France) communiquées par le Chili. La mobilisation très vite organisée à Paris, et au
sein même de l’aéroport, a obligé les autorités à libérer Maria et, avec Rodrigo, ils ont pu finalement
organiser leur tour d’Europe. FAL a dénoncé, aux côtés de nombreuses organisations, cette arrestation
scandaleuse qui remet en mémoire un autre épisode honteux : celui de l’interdiction faite en juillet
2013 à l’avion présidentiel bolivien de survoler les territoires français, espagnol, italien et portugais, et
la séquestration d’Evo Morales pendant quatorze heures dans un aéroport autrichien. FAL a également
confirmé à la Defensoría son intérêt de faire connaitre et soutenir son combat.
Néanmoins, cet « incident » mérite quelques questions, énoncées publiquement par le Directeur de
France Libertés : « peut-on penser que la police française partage avec la police chilienne des informations
sur les militants associatifs français ? En tant que militant et m'inscrivant dans une vision engagée et ci-
toyenne de notre société, puis je penser que je suis moi aussi fiché ? Allons-nous bientôt nous retrouver dans
un aéroport ou dans la rue arrêtés et devrons-nous nous justifier de nos activités militantes ? Sont-elles en
train de devenir hors la loi en France ? Alors que la mort de Rémi Fraisse est dans tous les esprits, il est essen-
tiel de relayer l'interpellation de María car la France ne peut plus être reconnue comme la terre des droits de
l'homme si sa police est capable d'agissements aussi violents et portant atteinte aussi directement aux liber-
tés fondamentales.». Une réflexion à méditer, et qui souligne aussi selon nous l’importance de continuer
à s’organiser face à toutes les formes de dominations ou d’oppression. Au Sud, comme au Nord.

                                                                                                    Franck GAUDICHAUD
                                                                                                        Co-Président de FAL
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