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ACTUALITES

                     La honte d’une nation

Ce jour de septembre 2014, les étudiants de première année de l’École normale rurale
d’Ayotzinapa sont arrivés à Iguala (État de Guerrero) vers 13 heures pour collecter des
fonds pour se rendre à Mexico où, chaque année, le 2 octobre, se commémore le massacre
de 1968 sur la place des Trois Cultures.

Sur le zócalo de la ville, c’est la fête. María de los     inédite au Mexique et dans le monde. C’est une
Ángeles Pineda, la femme du maire rend son rap-            insurrection civique qui fait écho, vingt ans plus
port annuel sur le DIF local (PMI) et s’apprête à          tard, au Ya basta ! du mouvement zapatiste en
lancer sa candidature aux prochaines élections.            1994, et au récent Pas de justice, pas de paix !
José-Luis Abarca, le maire (signalé pour assas-            aux États-Unis. Elle est accompagnée de nom-
sinats, en février dernier, dans le rapport d’une          breuses initiatives comme celle qui a vu la créa-
mission d’observation sur les droits humains               tion, à Chilpancingo, capitale de l’État, d’une
à laquelle a participé France Amérique latine),            Coordination nationale étudiante pour Ayot-
demande aux policiers municipaux d’écarter                 zinapa, réunissant près de 70 universités mexi-
tout ce qui peut troubler l’ordre. Alors qu’ils re-        caines, publiques ou privées, qui entendent re-
partent, les bus des normaliens sont attaqués, à           trouver les 43 disparus et suivre les différentes
deux reprises, par la police locale et des hommes          luttes dans le pays.
de main. Bilan : six morts dont trois normaliens           Penser Ayotzinapa hors du contexte politique
et 25 blessés. Au matin du 27 septembre, à Ayot-           et économique du Mexique actuel, c’est ne pas
zinapa, 43 étudiants manquent à l’appel et, de-            comprendre ce qui pourrait être une lame de
puis lors, restent introuvables.                           fond remettant en cause tout un système. Le
Les écoles normales rurales du Mexique, héri-              gouvernement le sait qui a, depuis le début,
tières de la Révolution de 1910, ne sont plus que          prévu un scénario auquel il se tient. Les seuls
seize. Comme celle d’Ayotzinapa, créée en 1926             coupables sont le maire d’Iguala et sa femme,
et qui compte 500 étudiants, elles forment au              l’un en prison, l’autre assignée à résidence. Les
niveau licence (bilingue ou pas) des instituteurs          exécutants sont des policiers et des narcos dont
pour assurer « une éducation de qualité dans les           trois auraient avoué avoir participé à la dispari-
campagnes », mais aussi « pour enseigner aux               tion physique des 43 normaliens.
gens leurs droits ». Ayotzinapa, c’est l’école des         Le président Peña Nieto (ancien gouverneur
plus pauvres, fils de paysans, mixtèques, nahuas,          de l’État de Mexico qui a, en 2006, réprimé l’in-
tlapanèques... qui ne peuvent souvent pas payer            surrection des paysans d’Atenco, répression
de droits d’inscription et qui participent à l’éco-        au cours de laquelle de nombreuses femmes
nomie de l’école en semant les terres qui l’en-            avaient été violées par les
tourent et en élevant quelques animaux.                    policiers), a été élu en 2012.
Les dotations État et fédération sont pratique-            Sa désignation restaure la
ment inexistantes et, chaque année, les étu-               toute-puissance du Parti
diants se mobilisent pour exiger ou récolter des           Révolutionnaire Institution-
fonds, actions toujours criminalisées et répri-            nel (PRI) dont l’appareil est
mées. Il n’a jamais été pardonné à Ayotzinapa              sorti intact de douze années
d’offrir une formation qui n’élude pas les conte-          d’absence au pouvoir et a
nus sociaux et politiques. Elle est systématique-          relancé ce que les Mexicains
ment stigmatisée parce que, de ses rangs, sont             appellent le modèle « tran-
sortis nombre de syndicalistes et de militants             sexennal », en vigueur de-
sociaux, dont Genaro Vázquez et Lucio Cabañas,             puis les années 80, un projet
deux instituteurs qui, à la fin des années 60,             ultralibéral dont l’objectif
après avoir épuisé toutes les possibilités de la           est, quel que soit le pré-
lutte civique, ont pris les armes.                         sident, d’en finir définitive-
La mobilisation pour « Ayotzi » est absolument             ment avec ce qui reste de la
                                                           Constitution mexicaine de

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