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ÉDITORIAL






                          LE VENEZUELA, LES GAUCHES ET LA SOLIDARITÉ INTERNATIONALE

                  La  « Révolution bolivarienne » est sans nul doute l’expérience socio-politique qui a le plus
                  marqué ces deux dernières décennies en Amérique du Sud : « para bien, y para mal » comme
                  on dirait en castillan. L’impulsion donnée par Hugo Chávez à l’intégration régionale (ALBA,
                  UNASUR, CEPAL) ; la critique du néolibéralisme et les appels à la construction du « socialisme
                  du vingt-et-unième siècle »; la revendication de la démocratie participative et de nouvelles
                  formes de pouvoir populaire; la redistribution de la rente pétrolière pour combattre la
                  pauvreté, l’analphabétisme, les inégalités ; la dénonciation - sur tous les tons - de la « bête
                  impérialiste yankee » : autant d’ingrédients qui ont redonné des couleurs aux joues des
                  mouvements populaires et qui ont été salués par une majorité des forces de gauche de
                  par le monde. Margaret Thatcher affirmait dans les années 80 : « Il n’y a pas d’alternative»,
                  le peuple bolivarien semblait crier à rebrousse-poil : « par la mobilisation et par les urnes, un
                  autre monde est possible »… Alors certes, dès 1998 et l’élection du comandante, nombre de
                  contradictions et d’interrogations ont commencé à se faire jour : la place omniprésente de la
                  figure charismatique de Chávez, le poids de l’héritage de la « malédiction pétrolière » sur toute
                  la société vénézuélienne, une culture étatique et populaire rentière et un clientélisme difficiles
                  à balayer, le maintien des rapports traditionnels de production, l’absence de diversification
                  industrielle et de souveraineté alimentaire, les manœuvres en coulisse des États-Unis et de
                  l’oligarchie blanche locale, etc. Quoi qu’il en soit, nombre de militant.e.s se sont pris à rêver
                  –peut-être un peu vite ?- que le cycle progressiste ouvert dans plusieurs pays pourrait,
                  au moins au Venezuela, dépasser le stade d'une simple alternance politique au sommet,
                  et s’orienter vers une transformation en profondeur alliant État communal, démocratie,
                  anti-impérialisme et redistribution des richesses, afin de remettre enfin à l’ordre du jour
                  l’idéal socialiste. C’était, c’est encore, le désir le plus cher de milliers de vénézuéliennes
                  et vénézuéliens, qui forment ce qu’on nomme parfois le « chavisme populaire » et qui ont
                  sué sang et eau pour « faire la révolution bolivarienne ». Pourtant, le panorama est sombre,
                  catastrophique même : marché noir, inflation parmi les plus fortes au monde, aggravation
                  des sanctions étasuniennes, corruption galopante, insurrection de l’opposition, nouvelles
                  formes de répression étatique, crise des institutions... Pour le plus grand plaisir des officines
                  conservatrices et des médias dominants.
                  Dans sa chronique d’octobre 2017, Michel Rogalski, directeur de Recherches
                  Internationales, une revue bien connue dans les milieux de la solidarité internationale,
                  lançait un cri d’alarme : « Maduro, aide-nous à t’aider ! ». Rogalski y notait qu’une « campagne
                  internationale s’est déclenchée autour du Venezuela, relayée en France par un véritable plan
                  média ayant pour but de mettre en porte-à-faux tous ceux qui, depuis des années, regardent
                  avec intérêt et sympathie l’évolution d’une partie de l’Amérique latine dans sa volonté de
                  rompre avec des décennies de politiques néolibérales ».  Mais il concluait en soulignant sa
                  défiance sur les évolutions en cours à Caracas et la difficulté qui en résultait pour exprimer
                  notre solidarité : « Chaque avancée populaire en Amérique latine a toujours conjugué Bolívar,
                  Marx et avancées démocratiques. Assurément le Venezuela d’aujourd’hui ne coche plus toutes ces
                  cases et interroge ses amis sur la dérive en cours et les possibilités d’un redressement ». La situation
                  de chaos et de violence que vit le peuple vénézuélien depuis des mois ne déboussole pas
                  seulement d’importants secteurs de la gauche en France, c’est aussi le cas en Amérique latine.
                  Et le débat sur comment en est-on arrivé là (et surtout comment en sortir) est vif au sein de
                  toutes les organisations, à commencer par France Amérique Latine !
                  Nous espérons que ce dossier donnera quelques éléments de réponse. Ce qui est sûr, c’est
                  que, pour nous, la solidarité internationale doit continuer à vivre, de manière indépendante et
                  critique, et être à l’écoute de toutes celles et ceux qui au Venezuela continuent à résister à l’air
                  du temps néolibéral, tout en rejetant l’ingérence des puissances du Nord.

                                                                                       Franck Gaudichaud
                                                                          Co-Président de France Amérique Latine
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