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DOSDSIOESSRIER Comme chaque année depuis 17 ans, a eu lieu le 20 Guianze, l’avocat Oscar Lopez Goldaracena, la Séna-
mai à Montevideo, la Marche du Silence¹, - dont l’am- trice politologue Constanza Moreira, et le psychiatre
pleur a dépassé celle des marches précédentes - et et écrivain M. Gomez Mango.
qui s’est dirigée cette fois au siège de la Cour Suprê- Le 21 juin, la rencontre Libérer la parole: dire 40 ans
me de Justice avec une grande banderole sur laquelle après pour lutter contre l’oubli³ a traité le thème des
on pouvait lire «Dans mon pays, il n’y a pas de justice. violences sexuelles contre les femmes prisonnières
Qui sont les responsables ?». La question s’adressait à de la dictature et a permis d’entendre le récit d’Yvon-
la majorité de cette Cour Suprême, qui par une dé- ne Klingler Larnaudie, victime et témoin de ces cri-
cision condamnable, a jugé inconstitutionnelle une mes contre l’humanité : son histoire est celle de cen-
loi votée par le Parlement en 2011. Cette loi déclarait taines de femmes pendant cette période. Madelon
imprescriptibles les crimes commis pendant le terro- Aguerre, du Service Paix et Justice a retracé la lutte
risme d’État pour qu’ils soient reconnus comme des inlassable des organisations des droits de l’homme
crimes contre l’humanité. Cette décision récente de en Uruguay depuis 1985 jusqu’à ce jour pour faire
la Cour Suprême ignore ainsi le droit international, connaître la vérité.
met un obstacle aux enquêtes et devient un frein Un cycle de cinéma, Justice, vérité et mémoire, a fait
pour décider le jugement des responsables des cri- connaître, au cours de cette année, des films mon-
mes et disparitions perpétrés pendant la dictature. trant comment la jeunesse uruguayenne s’interroge
Face à cette décision de la Cour Suprême de Justice, sur ce passé qu’elle méconnaît, souhaite connaître
il y a eu de très nombreuses réactions d‘indignation la vérité et veut que justice soit faite. « Comment se
et de soutien. L’Institution Nationale pour les Droits reconstruire si l’on ignore cette histoire récente qui est
de l’Homme et la Défense du peuple (INDDH) a mis aussi notre histoire? » disent ces cinéastes.
immédiatement en évidence les aberrations de la Inspirée de la tragédie grecque Antigone de Sopho-
Cour Suprême de Justice et la nécessité de changer cle, Antigona Oriental est une pièce de théâtre qui a
de cap, les procureurs et les juges, en majorité des fait récemment une tournée en Espagne et en Alle-
femmes, ont décidé d’ignorer dans leurs arrêts la po- magne et dans laquelle les victimes elles-mêmes sont
sition de la Cour. Les organisations de défense des devenues des actrices pour raconter leurs histoires
droits de l’homme, l’Université de la République, les dramatiques face à la terreur de l’État. Elles se sont
organisations ouvrières et des étudiantes, ainsi que transformées d’accusées en accusatrices, assumant
des artistes, des intellectuels, les associations et les ainsi enfin le vrai rôle qui est le leur en Uruguay.
résidents uruguayens à l’étranger, se sont clairement Les diverses manifestations artistiques surgies dans
exprimés contre les décisions de la Cour Suprême le pays nous démontrent une fois de plus que l’art
de justice et ont signalé l’attitude rétrograde de la peut aussi contribuer à cet indispensable travail de
majorité de ses membres. Ils ont demandé au nom mémoire.
du bon sens et de l’honneur du pays, qu’ils cessent Vous trouverez dans ce dossier quelques éléments
d’occuper leurs fonctions. qui vous permettront d’approfondir davantage les
Dans de nombreux pays, et en France notamment, questions abordées ici.
d’importantes manifestations de commémoration En conclusion, nous pouvons dire qu’il apparaît de
ont également été organisées par l’Association ¿Don- plus en plus clairement que l’Uruguay ne pourra pas
de están?, Où sont ils ?, dans le cadre de la Coordina- résister à la recherche de la vérité ni continuer à faire
tion «Amérique latine 40 ans après...»². silence sur ces crimes contre l’humanité, et que c’est
Un Colloque international s’est tenu au Palais du notre devoir pour notre génération et celles à venir,
Luxembourg à Paris le 25 mai, sur le thème Le Droit de poursuivre, inlassablement nos objectifs : lutter
de Savoir : Uruguay, les disparus pendant la dictatu- contre l’impunité, pour la justice, pour la vérité et la
re 1973-1985, et il a compté avec la participation de mémoire.
personnalités françaises et uruguayennes, parmi les-
quelles les magistrats et juristes Louis Joinet, Philip- Association ¿ Dónde Están ?
pe Texier et Olivier de Frouville, ainsi que Macarena
Gelman, fille d’Argentins disparus, née en captivité
en Uruguay et dont les parents ont été assassinés,
et encore la juge Mariana Mota, le procureur Mirtha
¹ Cette Marche du Silence est organisée à la mémoire du Sénateur Zelmar Michelini, du Député Héctor Gutierrez Ruiz,et de deux jeunes militants,
Rosario Barredo et William Whitelaw, enlevés et assassinés à Buenos Aires en 1976 et elle est devenue un hommage à tous les disparus.
ugrsdesjours.blogspot.fr/2013/05/la-marche-du-silence.html
² Voir www.franceameriquelatine.org › Campagnes/communiqués et le numéro spécial FAL MAG publié par la Coordination «Amérique latine
40 ans après...».
³ Avec le soutien de la Conférence Episcopale, (CEF). L’ouverture de cette rencontre a été faite par Mgr Marc Stenger, Président de Pax Christi,
France et Evêque accompagnateur du Pôle Amérique latine à la Conférence des Evêques de France, et le Modérateur de la Soirée a été le Secré-
taire Général de Justice et Paix, M Denis Vienot.