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ACTUALITES
Yasuní-ITT : un projet impossible
pour l’extractiviste Correa
L’initiative Yasuní-ITT est « le projet phare de la révolution citoyenne ». Ainsi s’exprimait en 2010 le pré-
sident de l’Équateur Rafael Correa, suscitant de sérieux espoirs d’un avenir post-extractiviste au sein du
mouvement écologiste global. C’est dire si l’annonce par Correa de l’abandon de l’initiative, le 15 août
dernier, a pour le moins été vécue comme un coup de massue par de nombreux réseaux écologistes d’oc-
cident et d’ailleurs.
L’examen des politiques menées par Correa au cours à l’extractivisme pétrolier sans recourir aux douteux
des dernières années montrent cependant que ce REDD, marché du carbone, et à la logique du capita-
nouvel écueil de la « gauche » latino-américaine était lisme vert.
largement prévisible. Cependant, le fait que Correa et son gouvernement
aient cruellement manqué de volonté politique pour
Une initiative pionnière porter le projet apparaît également comme un élé-
Proposition totalement inédite et ayant reçu un ment déterminant pour expliquer le fiasco de Yasuní-
grand soutien populaire, l’initiative Yasuní-ITT consis- ITT.
tait pour l’Équateur à se refuser à exploiter une partie Au cours des années passées, alors qu’il multipliait les
de ses réserves prouvées de pétrole en Amazonie (si- interventions sur les tribunes onusiennes contre le
tuées dans le parc national de Yasuní) en échange de changement climatique, le président a de façon per-
dons qui seraient venus de l’étranger. L’objectif offi- manente fait allusion au fameux « plan B », qui consis-
ciel était de préserver cette partie de l’Amazonie, hé- tait à exploiter les champs pétrolifères amazoniens
bergeant une biodiversité unique sur la planète et le de Ishpingo, Tiputini et Tambococha (ITT) si les fonds
milieu de vie de nombreuses communautés autoch- requis n’étaient pas récupérés à temps... Résultat :
tones, certaines étant en « isolement volontaire » (bien ces signaux contradictoires ont dissuadé les éven-
que Correa et son gouvernement ont, d’une manière tuels donateurs qui exigeaient comme contrepartie
plus réductrice, souvent mis en avant l’intérêt du pro- - on peut difficilement leur en vouloir étant donné
jet pour la seule lutte contre les changements clima- la logique de chantage à laquelle ils étaient soumis
tiques). - l’assurance que l’exploitation n’aurait pas lieu. Ensuite,
Lors de la mise en oeuvre de l’initiative en 2007, Cor- le fait de confier à partir de 2010 la responsabilité de
rea et son gouvernement avaient fixé un montant mi- promouvoir l’initiative à la guayaquilène Yvonne Baki
nimum à recueillir, équivalent à la moitié de la valeur a achevé de brouiller les pistes. L’ex-miss univers était
estimée des gisements : 3,6 milliards de dollars. Le par le passé intervenue à diverses reprises en faveur
monde était donc soumis à une sorte de chantage : de Chevron¹ dans le procès environnemental qui op-
si l’État équatorien ne parvenait pas à récupérer cette pose cette major pétrolière à des colons et autochto-
somme dans un délai limité (l’échéance a été repor- nes de l’Amazonie.
tée à plusieurs reprises), le gouvernement serait alors Malgré la douloureuse expérience de 40 ans d’exploi-
contraint d’aller de l’avant avec l’exploitation. tation du pétrole en Amazonie, le gouvernement n’a
par ailleurs pas hésité, tout récemment, à envoyer ses
« El mundo nos ha fallado » émissaires de par le monde pour faire la promotion
Après 5 années d’existence de l’initiative, l’Équateur de la XIème campagne de titularisation de blocs pé-
n’a recueilli qu’une infime fraction du montant (0,3%). troliers. Cette dernière incluait nombre de territoires
Le 15 août dernier, Rafael Correa annonçait au cours bordant le Yasuní dont l’exploitation est à même d’af-
d’une allocution spéciale qu’il se devait de renoncer, fecter directement le parc et les populations qui y vi-
pour le bien de son pays, à Yasuní-ITT. Le président vent. Enfin, il convient de rappeler que de nombreu-
justifiait cette décision en affirmant que le monde ses concessions pétrolières situées dans le parc ont
avait « lâché » l’Équateur et son gouvernement, et par le passé été attribuées à des sociétés transnatio-
que le pays a aujourd’hui cruellement besoin de la nales, et que du pétrole y est d’ores et déjà exploité.
manne pétrolière pour alimenter son ambitieux pro-
gramme social. On peut, sans aucun doute, tenir la Politique extractiviste
« communauté internationale » et particulièrement Correa et les multiples gouvernements qui se sont
le monde occidental pour coupable de son manque succédés sous ses mandats ont, depuis au moins 4
d’intérêt pour ce projet, qui proposait une alternative
¹ http://www.elcomercio.com/sociedad/Chevron-Texaco-inicitiva-Yasuni-anulacion_0_612538826.html