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EDITORIAL

  AMÉRIQUE LATINE : VERS UN NOUVEAU CYCLE DE MOBILISATIONS ET RÉSISTANCES ?
«Pessimisme de la raison, optimisme de la volonté»
À partir du milieu des années 90, l’Amérique latine a été le théâtre d’une montée en puissance de gran-
des mobilisations sociales et des gauches dans plusieurs pays. Des exécutifs se réclamant du progres-
sisme, du centre gauche ou d’un nationalisme populaire plus radical (Venezuela, Bolivie, Équateur)
aspiraient à représenter le mécontentement populaire (voire à représenter les mouvements sociaux
eux-mêmes), critiquaient le néolibéralisme, l’interventionnisme impérial, l’autoritarisme des élites, la
corruption, et certains d’entre eux ont réussi un début de transition vers une perspective démocratique
post-néolibérale.
Aujourd’hui, quinze ans après l’élection d’Hugo Chávez, semble se profiler un essoufflement de l’horizon
post-néolibéral, avec un retour de mouvements populaires critiques de ces gouvernements. Certains
auteurs, comme l’uruguayen Raúl Zibechi, annoncent même le début d’une nouvelle ère de résistances
aux gouvernements en place, quelle que soit leur couleur politique. Ainsi, au Brésil, on a assisté cet été
au mécontentement de secteurs précaires et de la jeunesse, qui vivent l’enfer urbain et remettent en
cause la « pax lulista » et les compromis de classe qu’avait réussi à instaurer le Parti des travailleurs de-
puis 2003. En Bolivie, le « gouvernement des mouvements sociaux » d’Evo Morales a dû également faire
face aux mobilisations d’une partie des populations indigènes et, dernièrement, de la Centrale Ouvriè-
re, la COB, sur la question des retraites. Ces tensions sont aussi au cœur de la « Révolution Citoyenne » en
Équateur, actualité abordée et décryptée dans le dossier de ce numéro de FAL Mag.
Sans aucun doute, cet essoufflement du progressisme gouvernemental, malgré les avancées obtenues
en termes de participation, assemblées constituantes, baisse de la pauvreté, souveraineté régionale ou
reconquête de l’État, traduit les limites stratégiques des processus en cours, au moment de construire
un autre modèle de développement et de nouvelles relations de production. Le modèle hégémoni-
que reste celui du capitalisme rentier, basé essentiellement sur l’extraction de ressources naturelles et
l’agro-industrie. Ceci alors que le capital financier et les grandes multinationales font pression sur toute
l’Amérique latine et la Caraïbe, pour accaparer toujours plus, saccager les écosystèmes et soumettre les
économies à leurs diktats.
Dans ces conditions, les oligarchies du continent restent souvent les maîtres du jeu, notamment sur le
plan économique et médiatique, de nouvelles bourgeoisies se sont même constituées, à l’ombre de
l’État rentier. L’actuelle offensive économique lancée par le président vénézuélien Maduro montre la
dimension du problème. Dans d´autres pays comme le Chili, malgré l’ampleur des luttes étudiantes,
écologistes ou des salariés, il reste difficile de construire de véritables alternatives politiques : la victoire
annoncée de Michèle Bachelet et la très forte abstention du premier tour (plus de 50% des électeurs !)
annoncent des réformes limitées et montrent le chemin qu’il reste à parcourir pour en finir avec l’héri-
tage de la dictature de Pinochet.
D’autant que les droites sont à l’offensive et ont marqué des points sur le plan géostratégique avec la
constitution de l’Alliance du Pacifique, un axe essentiel pour la politique des États-Unis dans les décen-
nies à venir. Les récentes élections au Honduras et l’immense fraude organisée pour empêcher la vic-
toire de la candidate de Liberté et Refondation, Xiomara Castro Zelaya, soulignent que le coup d’État de
2009 se poursuit, contre vents et marées. Il n’y a pourtant pas de fatalité, la grande combativité du peu-
ple hondurien le démontre au quotidien et notre solidarité active est donc plus que jamais nécessaire !

                                                                                                      Franck Gaudichaud,
                                                                                                        Co-Président de FAL
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