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EDITORIAL

                                  Retour des droites et crises
                  des expériences progressistes sud-américaines?

Voici plus de 15 ans que Hugo Chávez était élu à la présidence du Venezuela et plus de 2 ans
que la maladie l'a emporté. La conjoncture actuelle de l’Amérique latine semble avoir atteint un
nouveau point d'inflexion : un cycle de moyenne durée, social, économique et politique semble
s'épuiser lentement, même si ce n'est en aucun cas un processus linéaire. Malgré les progrès sociaux
considérables obtenus depuis 1998, les expériences des différents - et très divers - gouvernements
progressistes de la région, qu'il s'agisse de processus de centre-gauche, sociaux-libéraux, ou
au contraire d’exécutifs nationaux-populaires plus radicaux (disqualifiés par les mass-médias
sous l'appellation de « populistes »), tous ces processus complexes semblent se heurter à des
problématiques endogènes, à de puissantes forces réactionnaires (nationales et globales), mais aussi
à nombre de contradictions, erreurs ou dilemmes non résolus.
Sans aucun doute, dans les pays où se sont consolidées des victoires électorales répétées de forces
antinéolibérales, en particulier dans le cas où elles sont le produit d'années de luttes sociales comme
en Bolivie, ou d'une rapide politisation-mobilisation des couches populaires comme au Venezuela,
l’État, la lutte contre l'extrême pauvreté et la mise en place de nouveaux services publics ont gagné
du terrain : une différence majeure avec le cycle infernal des privatisations et de la dérégulation
néolibérale des années 1990. Ainsi, on a également vu ressurgir dans les imaginaires géopolitiques
continentaux le rêve de Bolívar et des initiatives d'intégration régionale et de coopération entre les
peuples, alternative à l’agenda impérial étasunien.
Pourtant, les droites latino-américaines relèvent la tête avec force, en particulier suite à l’élection
de Mauricio Macri en Argentine, écartant le candidat du péronisme « kirchneriste », et à la cuisante
défaite électorale du chavisme au Venezuela, alimentant avec vigueur le débat autour d’une possible
« fin de cycle » des gouvernements « progressistes » sud-américains.
Le 6 décembre dernier, le Venezuela a connu un véritable tremblement de terre politique :
l’opposition de la Table d’Unité Démocratique (MUD) a remporté les élections législatives et 109
sièges sur 167, auxquels s’ajoutent 3 députés indigènes, laissant 55 élus pour la coalition dirigée
par le Président Nicolás Maduro. Avec cette majorité qualifiée, l’opposition reprend en partie la
main puisqu’elle peut non seulement légiférer mais aussi destituer des ministres ou convoquer une
Assemblée Constituante. On notera au passage qu’après avoir dénoncé la « dictature » chaviste et
tenté la déstabilisation violente du gouvernement, les divers alliés de Washington reconnaissent
désormais la démocratie électorale bolivarienne...
Néanmoins, c’est des classes populaires urbaines qu’est venue la défaite, montrant la profonde crise
de la « révolution » et le rejet du chaos économique, de la corruption et des privilèges d’une caste
bureaucratique qui s’est arrimée au pouvoir. En 2002, le peuple travailleur et les quartiers pauvres
s’étaient levés comme un seul homme pour faire revenir Chávez face au coup d’État de l’oligarchie
(soutenu par la CIA); aujourd’hui celle-ci revient finalement sur le devant de la scène par les urnes,
profitant du mécontentement de celles et ceux d’en bas.
Une leçon à méditer pour toutes les forces de gauche et pour penser l’avenir démocratique de la
région...

                                                                                                             Franck GAUDICHAUD
                                                                                         Co-Président de France Amérique latine
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