Page 15 - FAL MAG 129
P. 15
Dossier
Pourquoi le « non » l’a-t-il emporté lors du
référendum pour la réélection d’Evo Morales ?
En l’espace de dix ans, Evo Morales fait face à sa première défaite électorale. En convoquant les Boliviens à un
référendum le 21 février dernier pour pouvoir modifier l’article 168 de la Constitution, le premier président indigène
qui demandait ainsi la permission de se présenter à nouveau au scrutin présidentiel de 2019, ne s’attendait pas à
de tels résultats surtout après avoir été réélu haut la main le 12 octobre 2014 avec 61% des voix au premier tour.
Cette fois-ci, ils sont 51,3 % à avoir voté pour le « non » contre 48,7 % pour le « oui ». Un résultat serré qu’il convient
d’analyser. Car si les partisans de l’opposition ont forcément voté pour le « non », la grande différence semble se
situer auprès des électeurs qui soutiennent habituellement le MAS . Si les raisons sont multiples et sont propres
à chaque individu, voici quelques pistes non exhaustives permettant de mieux comprendre la défaite du « oui ».
Scandales et « Guerra Sucia » de la droite d’adopter la stratégie du coup d’État en douce en aidant
Début 2015, le scandale du Fonds indigène éclate : des la droite à dévoiler ces scandales ». Une opposition qui
personnalités proches du gouvernement tombent les a d’ailleurs su utiliser les réseaux sociaux, devenus
unes après les autres accusées de projets «fantômes», un terrain de lutte important lors de la campagne et
de pots-de-vin et de détournements de fonds. La que le MAS n’a pas su apprivoiser. « Le gouvernement
cour des comptes chargée de rendre un rapport sur la a fait une campagne traditionnelle, c’est-à-dire qu’il a
question parle ainsi de 153 projets non exécutés alors mobilisé les gens pour qu’ils sortent dans les rues avec
que leurs responsables ont reçu les subventions. des affiches. L’opposition s’est ainsi emparée de moyens
Surnommée dès lors « la grande escroquerie du fonds de communication alternatifs pour mettre en avant
indigène », l’affaire porte un premier coup dur au ces scandales auxquels s’ajoute le mensonge du vice-
gouvernement. « C'est la première fois qu'un scandale président García Linera sur son diplôme universitaire »,
de corruption touchant des cadres du MAS suggère explique Ruben Vargas.
l'existence, au sein du parti, d'un système de corruption Il reconnaît également qu’il n’y a pas eu de réponse
systémique », analyse Hervé Do Alto, doctorant en constructive de la part du gouvernement après ces
sciences politiques et spécialiste de la Bolivie. scandales. Un avis partagé par Hervé Do Alto : « Si
L’image du parti est ainsi entachée. Evo Morales l'on peut raisonnablement penser que la CIA ait pu être
réussit pourtant à garder son image d’homme droit acteur de cette « guerre sale », les réactions émanant
dans ses bottes en répétant « caiga quien caiga » et en du gouvernement sont très préoccupantes : en centrant
laissant ses anciens dirigeants aux mains de la justice. sa critique sur l'intervention extérieure et sur le rôle des
Cependant, à mesure que les élections approchent, réseaux sociaux, Morales et les siens suggèrent vouloir
les scandales se multiplient jusqu’à l’affaire Zapata, fermer les yeux sur leur propre responsabilité dans cet
convertie en véritable « feuilleton » que les Boliviens échec et faire fi de toute autocritique ». Car d’autres
suivent avec attention. Cette fois-ci, on s’attaque éléments sont à prendre en compte pour expliquer la
directement à la vie privée du président. De sa relation défaite.
en 2007 avec Gabriela Zapata, alors à peine majeure,
serait né un enfant non reconnu dont personne Des transformations au sein du MAS
n’avait connaissance. Mais bien plus grave que cette Viviana Aparicio et Gabriela Calle, membres de la
affaire d’enfant présumé mort-né qui serait finalement Juventud Masista , qui ont depuis toujours soutenu le
encore en vie, Evo Morales serait mêlé à un trafic processus de changement, nous avouent qu’elles ont
d’influence, la jeune femme étant à ce moment-là pourtant voté pour le « non ». En effet, « voter contre
directrice commerciale de l’entreprise chinoise CAMC la réélection n'était plus seulement un geste d'opposition
qui a bénéficié ces dernières années de commandes politique au gouvernement, c'était un geste investi d'un
de l’État bolivien. sens moral », analyse Hervé Do Alto.
« Comme par hasard, ces scandales sont sortis pile au Pour Viviana, il s’agit en effet d’une question de principe :
bon moment », ironise Ruben Vargas, de l’école d’auto- « Cette élection traitait d’une constitution pour laquelle
formation politique à Tarija. « À défaut d’avoir un vrai le peuple a lutté et je ne pense pas qu’il soit judicieux de
programme et des leaders qui tiennent la route, la droite la changer. J’ai eu le sentiment qu’Evo a mis en place ce
a cherché à tout prix à détruire l’image d’Evo, jusque-là référendum pour son propre intérêt, par peur de quitter le
presque intouchable, et ont mené une véritable guerre pouvoir peut-être. J’ai donc préféré voter « non », pour la
sale ». démocratie ». Elle pose ainsi la question du leadership,
Pour Ruben, il est clair que la droite toute seule un sujet récurrent dans les pays d’Amérique latine.
n’aurait jamais pu dévoiler de tels scandales aussi Si Hervé Do Alto ne croit que modérément à un
bien documentés sans une aide extérieure : « Les véritable « rejet conscient, réflexif et politisé de
États-Unis n’ont jamais digéré le fait que la Bolivie la possibilité d'une réélection indéfinie », il pense
ait expulsé l’ambassadeur américain, ils ont décidé néanmoins que « ce rejet illustre les tensions et
15