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© James Rodriguez
DOSSIER
politique du président José Manuel Zelaya, un Des territoires-butin
homme issu de la classe politique traditionnelle, À plusieurs décennies de conflits armés a succédé
dont les membres, répartis entre le parti Libéral l’instauration de démocraties de marché néolibé-
et le parti National, se relayaient au pouvoir de- rales. Les mesures d’ajustement structurel mises
puis l’accès du pays à l’indépendance. en œuvre depuis les années 1990, et le désenga-
Des quatre pays de la région s’étant doté de gou- gement des États qui en a été le corollaire, n’ont
vernement dits « progressistes », seuls le Nicara- pas contribué à renforcer la cohésion économi-
gua et le Honduras ont adhéré à l’ALBA, mais les que entre les pays de la région, mais au contraire
critiques n’ont pas porté sur le rapprochement accentué leur statut de territoires-butin, dévastés
économique de la part des milieux d’affaires des par les politiques extractives, la monoculture, le
deux pays, qui ont vu le parti qu’ils pourraient ti- pillage des ressources et l’hémorragie migratoire.
rer, notamment des accords pétroliers. Dans ce contexte, que les courts intermèdes pro-
Par contre, dans le cas du Honduras, c’est l’inten- gressistes n’ont pas pu (voire pas voulu) infléchir,
tion de convoquer une assemblée constituante ont proliféré de nouveaux groupes dotés de leurs
– dans une logique de cohésion politique avec les propres structures et règles de fonctionnement,
autres pays membres de l’ALBA –, qui a justement que le chercheur nicaraguayen José Luis Rocha
été l’élément déclencheur du renversement de a répertoriés en quatre catégories : les ONG, les
José Manuel Zelaya. Au Nicaragua en revanche, maras (les gangs), les sectes évangéliques et les
malgré un alignement rhétorique qui s’affiche narcotrafiquants. Les tentatives qu’on observe
dans les rues à travers le slogan « Nicaragua, so- actuellement de rétablir un État fort (depuis la
cialiste, chrétienne et solidaire », le gouvernement consolidation d’un parti-État comme au Nicara-
n’a pas pris le risque d’impulser des mesures vi- gua ou à travers la domination des forces armées
sant à réformer en profondeur le fonctionnement comme au Guatemala ou au Honduras) entrent
du système politique et a plutôt fait le choix en concurrence avec ces nouveaux acteurs qui
d’une stratégie de contournement. Ainsi l’ins- proposent, chacun à leur manière, des « remèdes »
tauration des Comités de pouvoir citoyens (CPC) économiques, sociaux ou moraux aux problèmes
– dont la coordination est assurée par l’épouse de sociétés en état de déstructuration avancé. Une
du président Ortega – qui interviennent dans les confrontation violente s’est déjà engagée avec les
décisions prises au niveau local s’ajoute et fait gangs et les narcos – que l’on pourrait qualifier de
contrepoids à la gestion des maires élus selon les « société civile armée » d’un nouveau genre. Elle
mécanismes propres à la démocratie représen- a pris la forme d’une militarisation croissante qui
tative. De même, l’attribution du « bon chrétien, laisse bien peu de marge de manœuvre au reste
socialiste et solidaire », dont les fonctionnaires se de la population, c’est-à-dire à la « société civile »
voient gratifiés, remplace astucieusement des désarmée.
augmentations de salaire en bonne et due forme
qui auraient courroucé le FMI (auquel le Nicara- Hélène ROUX
gua reste lié par des accords). Journaliste
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