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DOSSIER un prix élevé : l’abrogation de la loi autorisant Militaires mais aussi acteurs économiques
l’avortement thérapeutique fut la condition pour Hormis au Costa Rica qui ne possède pas d’armée
obtenir de la hiérarchie de l’Église catholique le et au Nicaragua où elle s’est constituée dans le
nécessaire blanc-seing pour régner sur le pays. sillage de la révolution sandiniste – rompant ainsi
Ces trois situations se prêtent donc peu et vont avec la tradition de ses voisines formées dans
même à l’encontre du parallèle pourtant souvent le cadre de l’École des Amériques –, le contrôle
établi avec les pays d’Amérique du sud, où l’élec- de l’État exercé (directement ou indirectement)
tion de gouvernements progressistes peut être par les militaires est une constante historique
attribuée à une intense mobilisation des mou- en Amérique centrale. En plus de cette préroga-
vements sociaux (Venezuela, Bolivie, Équateur) tive qu’elles s’appliquent à conserver, les forces
voire à une certaine « radicalisation » de la classe armées se sont également consolidées comme
politique traditionnelle (Argentine). Au Guate- une force économique d’importance. Elles sont
mala, au Salvador ou au Nicaragua, c’est moins notamment impliquées dans le secteur bancaire,
l’enthousiasme populaire qui a porté la gauche foncier, agro exportateur et dans les télécommu-
au pouvoir que la lassitude de populations qui, nications.
après quinze années de néolibéralisme débridé, À ce titre, lorsqu’elles considèrent leurs intérêts
ont estimé n’avoir pas grand-chose à perdre au menacés, elles n’hésitent pas extrapoler le rôle
changement (et même peut-être un peu à gagner que leur impartit la constitution et à reprendre
de quelques mesures sociales), conjuguée à l’ha- brutalement le contrôle des affaires politiques,
bileté d’une frange de la classe politique émer- comme l’a montré le Coup d’État du 28 juin 2009
gente à « apprivoiser » l’oligarchie traditionnelle. au Honduras. À partir de cette date, «les militaires
Cette alchimie semble avoir réussi au Nicaragua ont assumé l’administration d’institutions publi-
où le calcul de la majorité des électeurs, qui ont ques considérées comme stratégiques qui avaient
réélu Daniel Ortega en novembre 2011, peut se été «démilitarisées» au cours de la seconde moitié
résumer à la formule « un bon tien vaut mieux des années 1990 : l’entreprise hondurienne de télé-
que deux tu l’auras ! » Mais elle a échoué au Sal- communication (HONDUTEL), la direction des servi-
vador, où les élections législatives de mars 2012 ces de migration, la marine marchande, la direction
viennent de rétablir la majorité en faveur du parti de l’aéronautique civile, en plus d’une prise de par-
de droite ARENA, et surtout au Guatemala, où la ticipation dominante dans l’entreprise d’électricité
parenthèse « progressiste » a été promptement […] ». C’est donc, non plus en tant que simples
refermée (en 2011). L’élection du général Otto Pe- exécutants des basses œuvres répressives, mais
rez Molina a redonné aux militaires les rênes du en tant qu’acteurs économiques que les militaires
pouvoir qu’ils n’avaient d’ailleurs jamais vraiment honduriens ont monnayé chèrement leur soutien
lâchées, n’occupant juste plus ostensiblement le à l’oligarchie nationale, inquiète d’une évolution
devant de la scène. politique qui menaçait de remettre en question
ses privilèges.
© James Rodriguez
Car à l’inverse du
Guatemala, du
Salvador et du
Nicaragua men-
tionnés précé-
demment, où le
pas vers la gau-
che a été plu-
tôt raisonnable
voire timoré, le
«virage à gauche»
au Honduras a
été perçu com-
me d’autant plus
dangereux qu’il
a été l’œuvre de
l’influence gran-
dissante exercée
par les forces
sociales sur la