Page 3 - 128 40 ans Argentine
P. 3

EDITORIAL

                 À 40 ans du coup d’État en Argentine
              Actualités d’une lutte pour la mémoire, la vérité,

                        la justice et la démocratie réelle

Le 24 mars 1976, s’impose à tout le peuple argentin l’une des plus féroces dictatures
civilo-militaires qu’ait connues l’Amérique du Sud : le mal nommé « Processus de
réorganisation nationale » de la junte, alors dirigée par le Général Videla, accompagne
ainsi un mouvement de fond traversant toute la région, suivant ainsi la dynamique
contre-révolutionnaire des pays voisins (Uruguay, Brésil, Bolivie, Chili). Jusqu’en 1983
et l’élection du premier gouvernement civil, la dictature organise – avec le soutien
actif de la hiérarchie ecclésiastique - une répression systématique des militants de
gauche, syndicalistes, prêtres de la théologie de la libération, défenseurs des droits
humains et finalement de toute la société civile organisée. Dans un contexte général
de crise politique (renforcée par la mort de Perón en 1974), de montée en force des
conflits sociaux et alors que la guerre sale avait déjà commencé, le coup d’État reçoit
le soutien actif du gouvernement Ford et de Henry Kissinger.
Les classes dominantes argentines et leur bras militaire commencent alors une
entreprise de répression d’État planifiée qui aboutira - selon plusieurs rapports
ultérieurs - à la disparition de 30.000 personnes, 9.000 prisonniers et de centaines
de milliers exilé-e-s (pour 30 millions d’habitants). La disparition de masse tout en
soustrayant les corps à la justice et à leur famille, est aussi une arme pour terroriser
l’ensemble de la société et les mouvements de résistance. « D’abord, nous tuerons tous
les agents de la subversion, puis leurs collaborateurs et puis leurs sympathisants ; ensuite
viendront les indifférents et, enfin, pour terminer, les indécis » aurait cyniquement affirmé
en 1977 le général Ibérico Saint-Jean, gouverneur de la province de Buenos Aires... Le
plan Condor est un autre aspect de cet État terroriste : non contents de terroriser leurs
peuples, les pouvoirs en place dans les pays frontaliers construisent une véritable «
transnationale » de la répression ». Sous divers aspects, la dictature sera une période
de profonde transformation nationale, éloignant le spectre révolutionnaire tout en
ouvrant la voie au modèle néolibéral des années 80. Pourtant, malgré l’horreur, les
luttes populaires, la mobilisation des Mères de la Place de Mai, la crise des Malouines,
la pression internationale constituent plusieurs facteurs qui mettront fin à la tyrannie.
Aujourd’hui, encore et toujours, il nous faut continuer à clamer « Ni oubli, ni pardon !
», mais aussi à revendiquer les combats sociaux et politiques de celles et ceux tombé-
e-s durant ces années noires. Les nombreuses avancées en termes de justice, la «
récupération » de l’identité d’une partie des enfants volés par la dictature, les procès
ouverts et les condamnations contre les généraux, tout cela est désormais remis en
cause par le gouvernement néolibéral de Mauricio Macri. D’autre part, les nouvelles
formes de répression d’État et diverses stratégies de coercition contre les « piqueteros
», les étudiants mobilisés, les salariés en grève, les mouvements sociaux soulignent
une nouvelle fois que les bannières de la vérité, de la justice, des droits sociaux et
démocratiques ne sont pas seulement des revendications du passé, mais bien d’une
criante actualité.

                                                                                                      Franck Gaudichaud

                                                         Co-président de France Amérique Latine
   1   2   3   4   5   6   7   8