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Spécial Argentine

Après juillet 1976, l’Agence reçoit des rapports selon                       La CIA s’en fait l’écho et note que cette « atteinte
lesquels Condor a planifié des actions en dehors des                         particulière à la sécurité » aboutit à la fois au limogeage
territoires des pays membres contre les leaders des                          du chef du SIDE, la police politique argentine, et à
groupes de gauche résidant à l’étranger.                                     un renforcement général de la sécurité : « les services
L’année 1976 est terrible pour les opposants, réfugiés                       de sécurité argentins et/ou chiliens ont informé leurs
où ils le peuvent. Assassinats, disparitions.                                homologues français que Condor pourrait fonctionner
Les exécuteurs latino-américains n’ont plus de                               en Europe mais pas en France ». Pourtant selon la CIA,
frontières. Personne n’y échappe, nulle part.                                une équipe uruguayenne est envoyée à Paris « afin
Devant une telle débauche de répression, il devient de                       d’effectuer des opérations non spécifiées », sans doute
plus en plus difficile de garder le secret.                                  des repérages pour exécuter des opposants malgré les
En juillet 1976, la CIA fait état d’une conférence                           assurances données.
organisée début juin à Santiago du Chili entre des                           Paradoxalement, c’est la politique d’assassinats ciblés
représentants des services de renseignements de                              inventée par Contreras qui va mettre fin, au moins
Bolivie, d’Uruguay, du Paraguay, du Brésil, du Chili                         formellement, à Condor, en particulier l’assassinat
et d’Argentine. Outre le lancement d’un programme                            de l’ancien ministre des Affaires Étrangères du Chili,
informatique et l’établissement d’un réseau                                  Orlando Letelier, le 21 septembre 1976, aux États-Unis,
international de communication, il y est question                            à 200 mètres de la Maison-Blanche.
d’opérations en Europe : « dans un accord séparé, les
renseignement uruguayens (...) ont accepté d’opérer sous                                   Vers une « solution argentine »
couverture à Paris avec leurs homologues argentins et                                        sur toute l'Amérique latine ?
chiliens » contre des groupes de gauche. La couverture
en question semble être une unité spéciale de la marine                      Du 13 au 15 décembre 1976, des représentants de
argentine nommée « Centro Piloto », basée à Paris,                           tous les pays membres de l’organisation Condor se
dont le but officieux est d’organiser des opérations                         rencontrent à Buenos Aires afin de faire le bilan de
de propagande en faveur de la Junte argentine, de                            leurs activités et d’établir leurs projets, notamment
repérer et d’infiltrer les opposants, etc.6                                  dans le nouveau contexte de l’élection du président
Des meurtres d’opposants auront lieu dans différents                         Carter.
pays européens y compris en France.                                          Très clairement, les Argentins reprennent les choses
Une mission militaire française est alors à Buenos                           en main. Selon la CIA, ils trouvent avec les Paraguayens
Aires, au cours de l’année 1976, afin de donner aux                          un autre canal plus discret et plus sûr.
forces armées argentines les théories de lutte anti                          En mars 1977 à Asunción, est organisée la 3ème réunion
subversion (et de leur vendre du matériel de guerre                          de la Confédération Anticommuniste d’Amérique
ou informatique français). C’est là l’originalité des                        Latine (CAL), avec la fine fleur des dictatures, du
Argentins qui sont les seuls en Amérique latine à                            général Leigh membre de la Junte chilienne au
ne pas faire appel aux seuls Américains. La mission                          général président argentin Videla, en passant par tout
américaine est tout de même dix fois plus nombreuse;                         ce que l’Amérique latine compte de tortionnaires et de
elle est dirigée par un colonel, ancien élève de l’école                     membres des escadrons de la mort.
de guerre de Madrid, qui déjeune pratiquement                                La CAL est une émanation d’un mouvement
chaque jour avec son ancien camarade de classe, le                           international lié aux différents services de
général Hardinguedy, ministre de l’Intérieur.                                renseignements, la Ligue Mondiale Anticommuniste
Apparemment, les services secrets français apprennent                        (WACL)7.
par ce biais l’existence de Condor en septembre 1976.                        Durant la réunion, se posent plusieurs problèmes.
                                                                             D’une part, l’attitude américaine visant à réinstaller
6 Nunca Más. Témoignages N° 7389, N° 4687, N° 4816, N° 6974, N°              la démocratie en Amérique latine; d’autre part, le
2365.                                                                        développement de la guérilla en Amérique centrale
7 Pierre Abramovici. Des millions de dollars pour les “Combattants de la     et le danger qu’elle fait peser notamment sur le
liberté”. Le Monde Diplomatique. Avril 1986.                                 Nicaragua somoziste ; enfin, le positionnement
                                                                             d’une certaine église catholique considérée comme

Le Centro Piloto, qui a fonctionné au 83, avenue Henri Martin, à Paris, jusqu'en 1983, avait été créé le 30 juin 1977 par la
marine argentine. Présenté comme un service culturel de l'ambassade, c'était en fait un lieu de propagande et d'infiltration
des réfugiés politiques argentins en France.
Ont exercé dans ce Centre plusieurs, parmi les plus actifs, tortionnaires et responsables de disparitions, de l’École de Mécanique
de la Marine (ESMA), principal centre de détention clandestin, à Buenos Aires.
La plupart d’entre eux appartenaient au célèbre commando « grupo de tareas 3.3.2 ». Sont ainsi venus à Paris les officiers José
Antonio Perrén, chef du 3.3.2 à Buenos Aires et Enrique Yon.
Puis, en mars 1978 arrivèrent, le lieutenant Antonio Pernías et le capitaine Alfredo Astiz, connu pour sa participation directe
dans l’infiltration et postérieurement la détention des Mères de la Place de Mai ainsi que des religieuses françaises Léonie
Duquet et Alice Domon, en décembre 1977.
A Paris, Alfredo Astiz poursuit son travail d’infiltration dans les milieux des opposants à la dictature, sous l’alias d’Alberto
Escudero, jusqu’au jour où il est démasqué par une ancienne séquestrée de l’ESMA, refugiée à Paris. Il s’enfuit précipitamment
en Espagne le jour où le quotidien Le Matin titrait « La police argentine opère à Paris ».
En décembre 1981, arrive au Centro Piloto Miguel Angel Cavallo, autre membre clé du commando 3.3.2., en tant qu’attaché
adjoint de la Marine à l’Ambassade Argentine à Paris.
Mais l’intense et douteuse activité de ce groupe d’officiers de la marine est remarquée, en particulier par une diplomate de
l’Ambassade d’Argentine, Elena Holmberg. Elle fait part de ses critiques à sa direction qui l’envoie à Buenos Aires.
Son corps est retrouvé noyé à Buenos Aires en décembre 1978.
La plupart des acteurs cités plus haut seront condamnés en Argentine dans le cadre du procès ESMA et sont aujourd’hui
incarcérés.

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