Page 8 - 128 40 ans Argentine
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faisant désormais partie du Mouvement Communiste                          Un condor qui survit aux dictatures
International.                                                  En 1981, la réunion de la CEA a lieu à Washington
Un plan, proposé par les Boliviens, visant à l’éradication     alors que vient d’être élu le président Reagan. La
des religieux adeptes de la Théologie de la Libération,        politique américaine change à nouveau, d’autant que
sera formalisé sous le nom de « Plan Banzer », du nom          l’existence du Nicaragua sandiniste, comme l’affaire de
du dictateur bolivien, et appliqué lors des années             Cuba en 1960, relance la politique de coopération: il
suivantes, aboutissant à l’exécution de centaines de           est décidé de faire de nouveaux accords bilatéraux sur
prêtres, religieux, oblats, nonnes, laïcs membres de           l’information concernant les « terroristes » et surtout,
communautés religieuses, évêques, etc. pour culminer           de créer un secrétariat permanent de la CEA qui sera
avec l’assassinat de l’archevêque Romero de San                effectivement installé, le 24 mai 1984, à Santiago du
Salvador en 1980.                                              Chili. L’Argentine étant revenue à la démocratie, seul
Les Argentins, en prenant en main la répression                le Chili militaire est encore un rempart contre les
continentale, se débarrassent de tout contrôle.                communistes en Amérique latine.
Les réunions bilatérales du renseignement n’ont                Entre-temps, l’administration Reagan a lancé le
jamais cessé, et les réunions de la CEA se poursuivent         programme de guerre clandestine en Amérique
en se déplaçant vers le nord et l’Amérique centrale,           centrale, confié notamment au secteur privé et à la
nouveau lieu d’affrontement entre les forces armées            CAL.
et les oppositions, ici beaucoup plus radicales. Celle de      Le contenu idéologique de la CEA reste à la guerre
1977 a lieu à Managua au Nicaragua, et celle de 1979 à         contre le Mouvement communiste international. Sous
Bogotá en Colombie.                                            ce vocable, on trouve désormais, outre les habituels
Les Argentins commencent à organiser des stages                opposants de gauche et les prêtres, Amnesty
de formation à la lutte contre la subversion à                 International et les organisations des Droits de
l’échelle du continent, notamment en Amérique                  l’Homme. Au fur et à mesure, on y ajoute les partisans
centrale, s’affranchissant ainsi des écoles de guerre          des procès contre les tortionnaires, les juges ou les
étasuniennes.                                                  journalistes, puis les opposants à la corruption dans
Ils organisent les escadrons de la mort notamment              laquelle les militaires sont largement impliqués.
au Salvador et au Honduras. D’un certain point de              À ce jour, la CEA existe encore : en ce sens, ce qui a
vue, confier la coordination de la répression à des            structuré le plan Condor et ses avatars n’a jamais cessé
escadrons de la mort, même avec des militaires ou des          et peut toujours être réactivé.
policiers, aboutit de fait à “privatiser” les opérations.
Après la chute en juillet 1979 de la dictature                                                           Pierre ABRAMOVICI,
somoziste, la CAL, réunie pour la 4ème fois à Buenos                                                                  Journaliste
Aires en septembre 1980, et présidée par le général
argentin Suárez Mason, commandant du 1er Corps                                   Réadaptation : Catherine Gégout et Cathy Ferré
d’Armée, cherche à établir une « solution argentine »
sur toute l'Amérique latine mais surtout sur l’Amérique
centrale. Effectivement, depuis avril 1980, le ministère
de la défense américain sait que le Chili, l’Argentine,
l’Uruguay, le Paraguay et le Brésil relancent l’idée d’une
« organisation anti-terroriste internationale », nouvelle
mouture de Condor. Les massacres coordonnés se
poursuivent, les fiches « AGREMIL » circulent avec leurs
corollaires d’assassinats et de tortures.

                                Citoyens français victimes du terrorisme d’état en argentine
Pays d’immigration européenne, l’Argentine compte de nombreux habitants ayant conservé la nationalité de leurs parents.
C’est ainsi que, parmi les 30 000 disparus de la dictature, 18 sont de nationalité franco-argentine ou française.
Certains d’entre eux, venus directement de France, ont choisi l’Argentine par conviction politique (Robert Boudet) ou religieuse
(Alice Domon, Léonie Duquet et Gabriel Longueville).
Leur arrestation suit le même modèle : arrestation dans la rue ou chez eux, puis enfermement dans un lieu secret de détention
et application systématique de tortures.
Ce lieu sera parfois connu ce qui permit de retracer le parcours des victimes grâce aux témoins survivants : Alice Domon et
Léonie Duquet à la ESMA, Marcel Soler et Françoise Dauthier au Vesubio, Paul et Raphaël Tello à El Banco.
Mais parfois, la trace se perd dès l’enlèvement : Jean-Yves Claudet, Robert Boudet et Pierre Pegneguy à Buenos Aires, André
Duro à Lanus, Roger Julien à San Martin, Yves Domergue à Rosario, Maurice Jeger à Tucuman, Marcel Amiel à Mendoza, Roger
Pena à Mar del Plata, Marcel Tello à Cordoba.
Des corps furent parfois retrouvés quelques jours après l’enlèvement, (Gabriel Longueville), d’autres, des années plus tard
(Léonie Duquet et Yves Domergue).
L’abrogation des lois d’amnistie de 1986 et 1987 a permis que le destin de ces victimes soit porté devant les tribunaux argentins
et que des condamnations soient prononcées.
La justice française, des années auparavant, avait condamné, par contumace, en 1990, Alfredo Astiz, officier de la marine
argentine, pour la disparition d’Alice Domon et Léonie Duquet.
En 2010, elle condamna de même plusieurs officiers chiliens et un argentin, coupables de la disparition, dans le cadre du Plan
Condor, de Jean-Yves Claudet.
Une instruction est toujours en cours à Paris pour les autres victimes : c’est ainsi qu’en 2010 un des tortionnaires de Marie-Anne
Erize a été arrêté en Italie par la justice française puis jugé en Argentine.
Ce travail de justice a été possible grâce au combat sans faille des associations de familles (Mères et Grands-Mères de la Place
de Mai, Ex-Prisonniers Politiques Détenus-Disparus et en France, Les Parents et Amis de Français Disparus en Argentine) ainsi
que de très nombreuses associations argentines et françaises de Défense des Droits de l’Homme.

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