Pourquoi des pays d’Amérique latine et d’Afrique acceptent les migrants expulsés par Trump? (Jean-Baptiste Breen / RFI)
Donald Trump l’avait annoncé pendant sa campagne : il compte bien expulser « un million de personnes par an ». Bientôt sept mois après son investiture, le président des États-Unis ne semble pas prêt de descendre de son cheval de bataille. Entre deux sentences de taxes douanières, le locataire de la Maison Blanche se démène pour trouver des volontaires pour accueillir ceux que Washington expulse.

Le Liberia, le Sénégal, la Mauritanie, le Gabon ou encore la Guinée-Bissau, ont tous refusé de prêter main forte à l’oncle Sam. L’administration Trump serait même allée jusqu’à démarcher l’Ukraine, selon le Washington Post. En vain. De nombreuses propositions états-uniennes ont cependant trouvé preneurs en Amérique Latine et dans certains pays d’Afrique. Juteuses contreparties ou accords passés sous la contrainte, quelles sont les raisons qui poussent ces différents États à prendre part à l’entreprise de « déportation » américaine ?
L’Amérique latine face au poids lourd américain
Sur le continent américain, le Guatemala, le Panamá, le Costa-Rica, le Venezuela et le Salvador ont tour à tour accepté de recevoir des individus expulsés par les États-Unis. Pour la plupart d’entre eux, la balance économique penche – comme souvent – du côté de Washington. Pour les Américains, « le Cafta et la monnaie sont les leviers principaux », estime Tamara Espiñeira, enseignante en relations internationales à Sciences Po Rennes et spécialiste de l’Amérique latine.
Ratifié en 2004, le Cafta, l’accord de libre-échange entre l’Amérique centrale, les États-Unis et la République dominicaine (Aléac en français), est un traité favorisant les échanges commerciaux entre la République dominicaine, le Honduras, le Nicaragua, le Costa-Rica, le Salvador et le Guatemala. « Les économies d’Amérique centrale dépendent beaucoup de ces échanges », résume Tamara Espiñeira. Difficile de refuser une offre de la Maison Blanche dans de telles conditions. Sans oublier que le dollar occupe une place prépondérante dans les économies de ces pays, allant jusqu’à être devenu la monnaie officielle du Salvador et du Panamá.
S’ajoutent à cela des spécificités supplémentaires en fonction de chaque pays.
■ Le Guatemala
Le 24 janvier 2025, plus de 260 migrants expulsés des États-Unis atterrissaient au Guatemala. Le pays sert déjà depuis plusieurs années de nation de transit pour les individus expulsés par Washington. En février 2025, il a néanmoins annoncé « augmenter de 40% le nombre de vols de personnes expulsées ». Une décision saluée par la Maison Blanche. Et pour cause, les Américains représentent un soutien majeur du gouvernement actuel de Bernardo Arévalo. « Sans l’intervention assez ferme des États-Unis l’année dernière, défendant les résultats des élections de 2023, les litiges avec l’ancien pouvoir guatémaltèque feraient encore rage », souligne Tamara Espiñeira.
Après des mois de procédures judiciaires entamées contre lui pour l’empêcher d’accéder au pouvoir, Bernardo Arévalo a effectivement reçu un important soutien de l’administration Biden. Celle-ci a notamment sanctionné environ 300 juristes guatémaltèques opposés à l’investiture du président fraichement élu. Perdre les faveurs états-uniennes en refusant une proposition du successeur de Joe Biden représenterait ainsi un risque important à la présidence de Bernardo Arévalo.
■ Panamá
Trois semaines après le Guatemala, c’est au Panamá de recevoir, les 12 et 15 février, des avions avec, à leur bord, 299 ressortissants de différents pays expulsés des États-Unis. Un accord vu comme « une évidence » par Marilou Sarrut, doctorante en géographie et autrice d’une thèse sur les traversées migratoires à travers la jungle du Darien. « L’histoire panaméenne est entrelacée avec l’action américaine », remarque-t-elle. Devenu indépendant en 1904 avec l’aide de Washington, le Panama et son administration ont depuis « été imprégnés par les États-Unis », estime la chercheuse.
« Senafront, la police aux frontières panaméenne, en particulier les forces qui opèrent à l’intérieur de la jungle du Darién à la frontière entre le Panamá et la Colombie, est en partie financée et formée par les États-Unis », poursuit-elle. L’accord passé avec Donald Trump s’inscrit alors dans la longue histoire commune des deux pays, les Américains ayant depuis longtemps externalisé leurs frontières au Panama. Le président américain n’a cependant pas manqué de rappeler l’asymétrie des rapports entre les deux pays par ses menaces répétées de reprise du contrôle du canal du Panama.
■ Costa-Rica
Dans le sillon du Panamá, le Costa-Rica a, à son tour, accepté le 17 février d’accueillir temporairement 200 migrants irréguliers parmi lesquels des individus d’Asie centrale et d’Inde renvoyés par les États-Unis. Outre le Cafta dont fait partie le Costa-Rica, Washington dispose d’un autre argument de poids pour faire adhérer la Suisse de l’Amérique centrale à sa politique migratoire : la sécurité. Depuis 1948, le Costa-Rica a fait vœu de neutralité en se débarrassant de son armée. Membre de l’Organisation des États américains, le pays voit ses intérêts sécuritaires pris en charges par les autres États membres en cas de conflit, parmi lesquels figurent les États-Unis.
C’est essentiellement à l’oncle Sam qu’est d’ailleurs confiée la sécurité costaricaine dans le cadre « d’opérations de lutte contre le narcotrafic », note Tamara Espiñeira. Des accords de coopération entre les deux pays, comme celui signé en 1999, assurent une présence militaire américaine fréquente dans le pays sans armée et dont la police est également entraînée par les États-Unis. Les marines régulièrement envoyés au Costa-Rica deviennent alors une « espèce d’armée côtière stratégique » selon la spécialiste, bénéficiant ainsi aux deux pays dans leur lutte contre le trafic de drogue. (…)
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