🇨🇴 L’Amazonie au point de bascule (une série de reportages de  Anouk Passelac / Reporterre)


La plus grande forêt tropicale du monde s’approche dangereusement du point de non-retour, à partir duquel elle pourrait se transformer en savane. Accaparement des terres, agriculture, trafics… À deux mois de la COP30 au Brésil, et après une enquête de sept mois dans sept zones clés, Reporterre fait un état des lieux des difficultés et des projets locaux bâtissant un avenir désirable.


L’Amazonie pourrait se transformer en savane

La plus grande forêt tropicale du monde est une grande source de richesses. Ses 550 millions d’hectares traversent huit pays (dont la Guyane française) et abritent 34 millions d’habitants, dont des centaines de groupes indigènes.

Cet écosystème, pourtant, se fragilise : l’accaparement des terres, l’agriculture, la construction d’infrastructures et les trafics en tout genre entraînent une déforestation majeure. 18 % de la forêt ont déjà été rasés (et 20 % endommagés), entraînant des sécheresses accrues, des incendies record et accélérant le bouleversement climatique mondial. Selon les scientifiques, la région aurait atteint un point qui pourrait la faire basculer vers une « savanisation »


En Amazonie, des paysans replantent les terres déforestées pour la cocaïne

Au sud de la Colombie, dans un contexte de conflit armé et de culture très lucrative de la coca, une communauté paysanne lutte pour vivre dignement du fruit de son travail.

Un guérillero patrouille près des cultures de coca dans le canyon de Micay, l’une des principales zones de production de cocaïne de Colombie, le 24 mars 2024. – © Raul Arboleda / AFP

Si l’on veut se rendre en Amazonie, mieux vaut avoir du temps. Depuis Bogotá, capitale de la Colombie, il faut dix-neuf heures de bus pour se rendre à Puerto Asís, petite ville de 70 000 habitants au sud du pays, située au bord de la rivière Putumayo. Chaleur étouffante, vendeurs ambulants d’ananas, tyrans à ventre d’or perchés sur les fils électriques… C’est ici que Jani Silva est désormais contrainte de vivre. Elle ne sort de sa maison que sous escorte, tant sa vie est menacée.

Ce qu’on lui reproche « Encourager les paysans à penser par eux-mêmes », explique la présidente de l’association de paysans Adispa. Assise dans le patio de sa maison par une journée de chaleur accablante, empirée par la tôle du toit, elle raconte avoir notamment aidé certains jeunes à se détourner de la guérilla et de l’armée. « D’un côté comme de l’autre, ce sont les pauvres, les paysans qui sont enrôlés. On se tue entre nous. Je suis contre la violence et pour la vie, sous toutes ses formes. » Son opposition ferme à l’exploitation de puits de pétrole au sein de la communauté paysanne lui vaut aussi d’être dans le viseur des groupes armés.

Ce sont eux qui continuent de faire la loi dans certaines régions du pays, malgré la signature d’un accord de paix en 2016 avec les Farc, les Forces armées révolutionnaires de Colombie. Dans le Putumayo, ce sont les Commandos de la frontière qui ont le contrôle et se financent par le narcotrafic.

Au cœur de leur business : la culture illégale de la coca, dont les feuilles sont transformées en cocaïne. C’est l’une des principales causes de la déforestation en Amazonie colombienne. Le Putumayo accumule ainsi de tristes records : entre 2021 et 2022, la surface cultivée de la plante est passée de 28 000 à 48 000 hectares, selon un rapport de l’Office des Nations unies contre les drogues et le crime (ONUDC).

C’est dans ce contexte délicat que travaille l’association Adispa, chargée de la gestion de La Perle amazonienne, une zone de réserve paysanne (ZRC) au sud de Puerto Asís.

L’objectif de cette zone qui s’étend sur 22 000 hectares : défendre les droits des 600 familles qui y vivent, et lutter contre l’accaparement des terres dû notamment à l’agriculture extensive. « On veut garantir une bonne qualité de vie aux habitants et aux générations futures, en harmonie avec la nature », résume Jani Silva. (…)

 (…) Lire la suite de l’article ici


En Amazonie, un hôpital où accoucher dans le respect des traditions indigènes

Le minibus file dans la campagne vallonnée du Putumayo, encore endormie dans la brume, à la frontière avec l’Équateur et le Pérou. La radio et la conduite pressée du chauffeur bercent tant bien que mal les passagers. Une fois arrivé à San Miguel, 26 000 habitants, le véhicule se dirige vers le petit hôpital de campagne de la municipalité. À l’entrée du bâtiment, cinq personnes issues de différents peuples indigènes attendent d’être reçus par l’équipe médicale du service de maternité. Servio Tulio, médecin de l’ethnie Inga, colliers de perles, de graines et de dents d’animaux autour du cou, précise d’emblée : « Avant, je n’aurais pas mis les pieds ici. »

L’hôpital San Miguel, en Colombie, dans le sud-ouest du pays. – © Anouk Passelac / Reporterre

22 % de la population du Putumayo est indigène (contre 2 % au niveau national). Parmi les quinze peuples de la région, l’hôpital de San Miguel a des usagers de six cultures différentes : kamëntsa, kichwa, pastos, inga, kofán et awá. Chaque culture a sa propre histoire, sa propre langue, ses croyances, ses rites… et sa propre médecine, privilégiée à la médecine occidentale. L’hôpital de San Miguel fait donc figure d’exception.

Nouer le dialogue avec ces communautés a été important tant les peuples indigènes étaient réfractaires à l’idée de se faire soigner à l’hôpital. L’accès aux centres de soins, coûteux et souvent éloignés de leurs lieux d’habitation, ne se faisait qu’en cas de force majeure. Et créer un centre de soins au plus près des habitants ? Impossible, tant les communautés sont éparpillées. Seule option : faire venir les peuples autochtones directement à l’hôpital.

Celui de San Miguel a ainsi décidé en 2022 de faire appel à l’ONG Amazon Conservation Team (ACT). Implantée dans le Putumayo depuis une trentaine d’années, cette association a la confiance des communautés autochtones avec lesquelles elle travaille pour améliorer la gouvernance de leurs territoires, perpétuer et valoriser leur culture, améliorer leurs conditions de vie. Offrir un meilleur accès aux soins de ces populations étant un chantier immense, les premières actions se sont concentrées sur le suivi des grossesses et l’accouchement des femmes indigènes. Avant ce rapprochement, peu de femmes indigènes enceintes accouchaient à l’hôpital. Quand elles le faisaient, elles se présentaient proches du terme sans avoir réalisé aucun examen préalable. (…)

(…) Lire la suite de l’article ici