🇦🇷 Argentine : Manuel Gonçalves Granada, bébé volé par la dictature, consacre sa vie aux victimes des militaires (Théo Conscience / RFI)


Arraché à sa famille biologique par la dictature civilo-militaire argentine, Manuel Gonçalves Granada est l’un des « petits-enfants récupérés » par les Grands-Mères de la place de Mai. Il se consacre désormais à la recherche des autres bébés volés par les militaires entre 1976 et 1983.

Manuel Gonçalves Granada. © Théo Conscience / RFI

Jusqu’à ses vingt ans, Manuel Gonçalves Granada a répondu au nom de Claudio Novoa. Enfant adopté, il grandit avec la conviction que sa famille biologique l’avait abandonné. Jusqu’à ce qu’en 1997, quelqu’un vienne sonner à sa porte pour lui apprendre qu’il avait une grand-mère, un frère, une nièce, et toute une famille qui le cherchait depuis deux décennies. Ses parents biologiques, Gaston Gonçalves et Ana Granada, deux militants de la guérilla péroniste Montoneros, avaient été assassinés par la dictature militaire. « Se convertir en petit-fils récupéré, c’est beaucoup de douleur et beaucoup d’amour, explique-t-il avec un sourire triste. En définitive, les Grands-Mères de la place de Mai, c’est la preuve que tu n’as jamais été abandonné. »

Le regard doux et perçant, la barbe poivre et sel et les cheveux noirs de jais, Manuel Gonçalves dirige la Commission nationale pour le droit à l’identité (Conadi), l’organisme chargé d’enquêter sur les quelque 500 bébés volés pendant la dictature. Les bureaux sont à quelques pas de la Maison pour l’identité, siège de l’organisation des Grands-Mères de la place de Mai, dont il est aussi secrétaire. « Les Grands-Mères, c’est le visage de la recherche des bébés volés. Elles interpellent la société, et la Conadi enquête avec les moyens de l’État », explique-t-il. Les deux organisations sont situées dans l’ex-École supérieure de la marine, le plus célèbre des centres de détention clandestins de la dictature, aujourd’hui reconverti en lieu de mémoire. De 1976 à 1983, la répression militaire a fait 30 000 morts et disparus, selon les organisations de défense des droits humains.

Gaston Gonçalves, le père de Manuel, a été enlevé le 24 mars 1976, le jour du coup d’État militaire. Sa compagne Ana Granada, alors enceinte de six mois, trouve refuge dans une maison de la localité de San Nicolas, dans la province de Buenos Aires. Le 19 novembre 1976 à l’aube, la police et l’armée encerclent la maison et ouvrent le feu. Ils criblent les murs de balles, font sauter les portes et les fenêtres à coup de grenades et saturent l’air de gaz lacrymogène. Ana sauve son bébé de cinq mois en le cachant sous des oreillers dans une armoire. Il sera le seul à survivre à ce qui est passé à la postérité comme « le massacre de la rue Juan B. Justo ».

Le petit Manuel passe trois mois dans un hôpital avec un militaire en faction devant la porte de sa chambre 24 heures sur 24. « Des amis de mon père sont venus me chercher mais ils n’ont pas pu me récupérer. Les bébés étaient utilisés comme appât : ceux qui venaient les réclamer étaient persécutés à leur tour. C’est comme ça que fonctionnait le plan systématique de vol de bébés de la dictature. » Le 15 février 1977, Manuel est donné en adoption de manière irrégulière par un juge pour enfants complice de la dictature. Ses nouveaux parents – qui ignorent les détails de son histoire – le baptisent Claudio.

Claudio Novoa grandit avec en lui une colère sourde. « Je savais que j’avais été adopté, car j’avais posé la question quand j’avais 6 ans. Je pensais que j’avais été abandonné, que mes parents biologiques ne voulaient pas de moi. Et quand bien même il leur serait arrivé quelque chose, c’étaient mes oncles, mes tantes et mes grands-parents qui n’avaient pas voulu de moi. Donc, quand j’ai appris la vérité, ça a été une grande surprise, mais aussi un grand soulagement. Non seulement je n’avais pas été abandonné, mais ma mère m’avait sauvé la vie et ça faisait vingt ans que ma famille me cherchait. »

Manuel découvre du jour au lendemain qu’il est le portrait craché de sa mère et que son frère Gaston est le batteur d’un de ses groupes de rock préférés. Il rencontre sa grand-mère Matilde Pérez de Gonçalves, et hérite de dizaines d’autres grands-mères, celles de la place de Mai. Il dit adieu à Claudio Novoa et peut commencer sa deuxième vie, celle de Manuel Gonçalves Granada, le « petit-fils récupéré n°57 ».

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