🇨🇱 Chili : victoire du Parti Communiste et opportunité dans un contexte électoral défavorable (Karina Nohales et Javiera Manzi / Jacobin América latina / Traduction de Christian Duburq pour Contretemps)



Lors de la primaire de la gauche, la candidate communiste Jeannette Jara a remporté une victoire écrasante dans tout le pays, devançant l’ancienne Concertación[1] et le Frente Amplio[2]. Si elle remportait les élections présidentielles de novembre, ce serait un événement qui irait à contre-courant du climat politique qui règne actuellement en Amérique latine.

Photo : Contretemps


Le dimanche 29 juin ont eu lieu au Chili les primaires en vue de l’élection présidentielle prévue pour novembre de cette année. Il s’agissait d’une primaire de la coalition gouvernementale à laquelle seuls les partis officiels ont pris part, étant donné que la droite n’est pas parvenue à un accord pour se présenter conjointement ni à s’enregistrer en tant que pacte. C’est un fait crucial : c’est la première fois qu’un seul bloc politique participe à des primaires présidentielles depuis l’instauration du système d’élections primaires en 2012.

Leer en español :  Chile: triunfo del PC y oportunidad en un escenario electoral adverso


Jeannette Jara Román, candidate du Parti Communiste et ancienne ministre du Travail du gouvernement de Boric, s’est imposée avec 60 % des voix — environ 825 000 suffrages — en remportant la victoire dans toutes les régions du pays. L’écrasant pourcentage obtenu par Jara contraste avec le maigre 28 % (385 379 voix) obtenu par Carolina Tohá — ancienne ministre de l’Intérieur et de la Sécurité publique du gouvernement actuel — et candidate de l’alliance Socialisme Démocratique, composée du Parti Pour la Démocratie et du Parti socialiste. La défaite de Tohá, qui selon les sondages avait commencé la course en favorite, vient confirmer le recul déjà amorcé du centre politique incarné par les partis de l’ancienne Concertation.

Pour sa part, Gonzalo Winter, député et militant du Frente Amplio — le parti du président Boric — n’a obtenu que 9 % des voix. Le parti gouvernemental s’est retrouvé à la veille des primaires sans candidat officiel, après avoir espéré jusqu’au dernier moment une candidature de Michelle Bachelet (PS), que l’ancienne présidente a finalement écartée. Devant les refus successifs d’autres figures du Frente Amplio, la coalition a fini par convaincre le député Gonzalo Winter — qui avait lui aussi d’abord décliné — d’accepter d’être candidat. Fort de plus de 60 000 militants, le parti présidentiel n’a recueilli que 123 829 voix lors de cette primaire, ce qui constitue une nette défaite pour ce secteur du gouvernement. Enfin, Jaime Mulet, député de la Fédération Régionaliste Verte Sociale (FRVS) et ancien militant démocrate-chrétien, a obtenu une prévisible quatrième et dernière place avec 2,7 % des voix (37 659).

Avec ce résultat, de manière inédite, le Parti Communiste du Chili — pratiquement absent du système politique il y a encore un peu plus de dix ans — prend la tête de la coalition de centre-gauche, reléguant aussi bien les partis qui exerçaient traditionnellement ce leadership que ceux qui l’ont dirigé plus récemment.

C’est la troisième candidature présidentielle du Parti Communiste qui parvient jusqu’au bulletin de vote. La première fut celle de Pablo Neruda (1904-1973) en 1969. La deuxième fut celle de Gladys Marín (1941-2005) en 1999, trente ans plus tard. Bien que le Chili ait connu de nombreux gouvernements où le Parti Communiste a fait partie de la coalition gouvernementale (y compris sous l’Unité Populaire), il n’a jusqu’à présent jamais accédé à la présidence.

Une première analyse des résultats électoraux mène immédiatement au constat de la faible participation aux primaires.

Contrairement à 2021, où le vote était volontaire aussi bien lors de la primaire que du premier tour, cette année la participation à la primaire reste volontaire, tandis que le vote au premier tour de la présidentielle sera obligatoire. Cela signifie que les votes exprimés à la primaire se dilueront dans un électorat beaucoup plus large, ce qui réduit significativement leur poids relatif.

Ce dimanche, le taux de participation a atteint 9,1 % (soit 1 420 435 votants) du total des inscrits (15 499 071), ce qui représente une baisse considérable par rapport au pourcentage de participation enregistré lors des précédentes primaires, où 21,4 % de l’électorat avait voté, en additionnant les suffrages des pactes de gauche et de droite.

Si l’on affine la comparaison et que l’on considère uniquement la participation aux dernières primaires du bloc de gauche et centre-gauche (2021), la baisse apparaît moins abrupte : à l’époque, 11,9 % du corps électoral (soit 1 752 922 personnes) avait voté. Malgré cela, la majorité des médias et des analystes locaux continuent de désigner la faible participation comme le fait politique le plus marquant de ces élections.

Lors des primaires présidentielles de la coalition Apruebo Dignidad[3] en 2021, Gabriel Boric (FA) avait affronté le maire de Recoleta de l’époque, Daniel Jadue (PC), s’imposant avec plus de 60 % des suffrages. Dans les primaires de droite, le vainqueur avait été Sebastián Sichel, ex-démocrate-chrétien et candidat du camp piñériste[4], qui n’obtiendra ensuite que la cinquième place au premier tour de la présidentielle. Lors de cette même élection, l’extrême droite, avec José Antonio Kast, était apparue comme la grande favorite de son camp.

Ce précédent explique la réticence du Parti Républicain (Kast) et du Parti National Libertarien[5] (Johannes Kaiser) à participer à des primaires avec la candidate Evelyn Matthei, représentante d’une droite traditionnelle dont l’effondrement électoral n’a fait que s’accentuer.

Malgré une campagne marquée par des références constantes à la guerre froide, la large victoire de Jeannette Jara sur Carolina Tohá, dans chacune des régions du pays, révèle l’échec au moins partiel de ce récit fondé sur la peur. (…)

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